«J'ai été considéré comme un contre-pouvoir, la branche musicale de la rébellion. En fait, j'ai toujours été du côté des victimes de l'injustice. Dans le cas qui nous occupe, les deux parties opposées dans le conflit ivoirien ont tour à tour été victimes d'injustice», pense Tiken Jah Fakoly, le reggae man africain qui s'applique à viser juste.

Lorsqu'il s'est produit aux FrancoFolies de Montréal en 2005, Tiken Jah Fakoly était un homme en danger. Des partisans anonymes du gouvernement ivoirien en place l'avaient alors menacé parce qu'il s'était prononcé publiquement sur les événements qui déchirent son pays depuis le début de cette décennie.

«Je suis un Dioula du Nord. Les rebelles du Nord disaient combattre les inégalités, et j'ai été associé à cette rébellion car je dénonçais aussi l'injustice. À l'origine de la crise ivoirienne, une politique nationaliste et xénophobe a divisé tout le monde. Des masses pacifiques ont été réprimées, plusieurs ont quitté la Côte d'Ivoire. Je n'ai donc pas été surpris que certains aient pris les armes. J'ai alors déclaré publiquement que je comprenais les rebelles sans pour autant en supporter les actions armées.»

Pas de frime à signaler sur le front de Tiken Jah. Pas de frime dans le regard du colosse, rencontré à Paris en juin. On fait face à un homme cool, sûr et optimiste dans ce restaurant qui jouxte la Maison de la Radio, où il vient d'enchaîner quelques interviews – il est porte-parole d'une campagne internationale sur le droit à l'alimentation.

«J'étais en danger, poursuit-il, car je disais ce que je pensais. On a vu en moi un artiste qu'on ne pouvait acheter. C'est pourquoi j'ai vécu en exil au Mali et à Paris depuis cinq ans. Je demeure toujours au Mali, d'ailleurs ; j'attends qu'un président soit élu démocratiquement en Côte d'Ivoire – et cela pourrait être celui actuellement en poste, Laurent Gbagbo. Ainsi, je voterai pour un président qui présentera un programme solide et qui respectera ses engagements. Pour l'instant, en tant que leader d'opinion, je dois rester neutre. Le moment venu, je dirai pour qui et pour quoi je vais voter.»

Rassuré depuis que le jeu s'est relativement calmé en Côte d'Ivoire, Tiken Jah Fakoly se présente devant ses compatriotes comme un élément pacificateur.

«J'y suis rentré en décembre pour apporter ma contribution à la réconciliation annoncée par les autorités. J'ai aussi chanté à Abidjan, ça s'est très bien passé. Il y avait des rumeurs voulant que des étudiants pro-gouvernement aient l'intention de tout casser mais j'ai finalement eu le président au téléphone. Il a démenti ces rumeurs en me disant que nous étions tous dans la même dynamique.»

Mais... Après toutes ces années de chaos, comment croire les intentions des autorités?

«Personne en Côte d'Ivoire n'a le choix, il nous faut tous être optimistes, pense le chanteur. J'ai vu souffrir les Ivoiriens du Nord et du Sud, il nous faut maintenant faire confiance. Et je pense que les autorités ont saisi qu'il fallait se calmer jusqu'aux élections prévues en novembre prochain.»

Faire rayonner le reggae

L'Africain, nouvel album de Tiken Jah Fakoly (lancé fin 2007), se veut plus ouvert et, bien sûr, chargé de messages ayant trait à la condition humaine sur le continent noir, dont Africain à Paris, adaptation d'une chanson de Sting (Englishman in New York) sur le thème de l'immigration.

«Des titres comme Non à l'excision ou Ma Côte d'Ivoire, fait-il observer, sont différents ; je veux que ces chansons entrent dans des maisons où l'on n'écoute pas strictement du reggae. Cette fois, donc, j'ai travaillé avec des réalisateurs anglais : Kevin Bacon et Jonathan Quarmby. Dans la même optique, j'ai amené en studio mon groupe de scène. Ainsi, nous avons fait les maquettes à Paris, nous avons ajouté les instruments traditionnels africains à Bamako (ce qui nous démarque des Jamaïcains) pour ensuite mixer à Londres.»

Tiken Jah Fakoly continue de croire à son roots reggae, selon lui le véhicule idéal pour ses messages et son expression, artillerie avec laquelle il compte faire s'écrouler les murs du Métropolis.

«Ce style est la musique des sans-voix, et puisqu'il y a tant à dénoncer autour de moi, le reggae demeure le mieux indiqué. Vous savez, les Jamaïcains sont aussi Africains, ils parlent un patois (dérivé de l'anglais) qui ressemble aux langues africaines. Vous comprendrez que le dioula passe très bien là-bas; les Jamaïcains sont fans, ils me connaissent bien. Et je crois que les 53 pays africains devront produire d'autres reggaemen reconnus à travers le monde. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai monté un studio à Bamako, afin de promouvoir le reggae en Afrique francophone.»

Question de viser juste, il va sans dire.

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Tiken Jah Fakoly, le 29 juillet, 21h, au Métropolis.