Petite commotion dans le milieu de la danse, cette semaine, alors que Dave St-Pierre, l'un des chorégraphes québécois les plus en vue dans le monde, a déclaré sur sa page Facebook que «sa compagnie ne présentera plus de spectacle à Montréal» pour ne pas s'embourber dans plus de déficits. Débat.

Foudres, troisième volet de la trilogie de Dave St-Pierre sur les relations amoureuses, déjà présenté à Lyon et à Paris, et qui sera vu ce printemps à Ottawa et à Toronto, ne passera pas par Montréal, ville de résidence du créateur et de la majorité des 25 interprètes du spectacle!

Dommage pour le public montréalais, qui a applaudi les deux précédentes pièces de la trilogie: La pornographie des âmes et Un peu de tendresse, bordel de merde! Or, celui qu'on surnomme «l'enfant terrible» de la danse québécoise ou «le fils pornographique de Pina Bausch» en a ras le bol des conditions économiques dans lesquelles évoluent les compagnies au Québec.

«Malheureusement, maintenant, j'irai là où il y a de l'argent. Pas d'argent, pas de show», a-t-il écrit sur sa page Facebook, en réaction à un texte publié dans La Presse sur l'annulation du spectacle à succès La fureur de ce que je pense de Marie Brassard, d'après l'oeuvre de Nelly Arcan, au Carrefour de théâtre de Québec.

«Un moment donné, en tant qu'artiste, tu te tannes de toujours être dans le rouge et de sortir de l'argent de tes poches, poursuit-il. Si vous saviez tout le cash que ma compagnie me doit. C'est ahurissant! [...] Je crée déjà dans la contrainte. Pas de décor, pas de costume, des concepteurs et des danseurs sous-payés... Jouer au rabais, c'est, du moins pour ma compagnie, terminé!»

Du côté des diffuseurs

Surprise, tristesse et incompréhension du côté de l'un des plus importants diffuseurs de la danse contemporaine au Québec, Danse Danse. Car Dave St-Pierre n'a jamais pris contact avec ses codirecteurs artistiques, Clothilde Cardinal et Pierre Des Marais, pour leur proposer Foudres! «Pour nous, la pièce n'était pas disponible. Bien sûr, un artiste est libre d'aller où il veut. C'est juste malheureux que Montréal soit privé du travail d'un artiste majeur comme Dave St-Pierre», déplore Clothilde Cardinal.

Du côté du Festival TransAmériques (FTA), qui a programmé trois spectacles de St-Pierre dans le passé, la directrice Marie-Hélène Falcon comprend la frustration du créateur. «La pauvreté des artistes est généralisée. Il y a un problème chronique de sous-financement pour créer et diffuser nos oeuvres.»

Au passage, Mme Falcon souligne qu'au Québec, on tient trop pour acquises la passion et l'ambition de nos créateurs pour produire leur travail... avec les moyens du bord.

Sortir de l'engrenage

Les diffuseurs et les représentants des organismes joints hier ne veulent pas trop s'avancer, disant «manquer d'information» et ne pas connaître toutes les raisons qui ont motivé le choix du chorégraphe.

Pourquoi le créateur peut-il aller au World Stage Festival à Toronto, mais pas au Carrefour ni au FTA? Est-ce que l'artiste a trop d'ambitions pour sa jeune compagnie? Est-il bien entouré pour gérer sa croissance?

«Dave St-Pierre est un électron libre et un provocateur, résume Lorraine Hébert, du Regroupement québécois de la danse. Il exprime les frustrations de plein d'artistes qui sont sous-payés en danse. Mais il persiste à faire des shows avec 25 interprètes et plus alors que tout le monde a compris que ce n'est pas raisonnable. Dave se compare aux chorégraphes européens qui ont de l'argent pour produire des grandes formes. Il refuse d'être raisonnable. C'est ce qui le rend unique et intéressant.»

Lorraine Hébert fait de la médiation culturelle depuis 30 ans. Sur le terrain, elle constate qu'il y a des limites au système de financement public et des compressions partout. Et qu'au bout du compte, c'est le citoyen qui paie. «Un artiste doit désormais trouver les moyens de se produire s'il veut exister. Marie Chouinard et Hélène Blackburn, par exemple, sont aussi devenues des femmes d'affaires.»

Dave St-Pierre a ajouté ce statut vendredi dernier: «Je ne trouve pas ma position ni absolue ni radicale. Juste le gros bon sens. Après tant d'années à se sacrifier, à travailler dur, je trouve aberrant d'en être rendu là, à encore quémander, pendant que tout ce beau gouvernement se targue de ma réussite à l'international. À vrai dire, ce n'est pas un mouvement de protestation, mais un mouvement de respect envers mon métier et envers ceux qui le pratiquent.»

Dave St-Pierre n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue.