Les Grands Ballets ouvrent leur saison avec la reprise de La Belle au bois dormant de Mats Ek, sur la musique originale de Tchaïkovski interprétée en direct sous la direction de Florian Ziemen. Une grande production captivante et généreuse, où humour noir et perfection esthétique magnifient l'écriture chorégraphique si singulière de Mats Ek.

Sans doute, depuis la création de sa pièce en 1996 à Hambourg, celle-ci a-t-elle bien évolué, et la vision qu'il porte sur elle également. Elle a d'ailleurs beaucoup évolué aussi depuis que les Grands Ballets l'ont inscrite à leur répertoire en 2006.

Mais on aime y retrouver ce qui constitue la signature pérenne du grand maître suédois. Sa vision délibérément néoréaliste qui inscrit ses pièces dans le quotidien de la vie occidentale contemporaine, mais qui, d'un coup, devient surréaliste par l'introduction de scènes cocasses, baroques, inattendues, où l'on retrouve son goût du théâtre et de la narration.

Vision sociale

On aime aussi y retrouver sa vision sociale de la danse, qui lui fait reproduire un personnage par un groupe, rappelant que ce dont il nous parle demeure notre lot collectif. Son exigence et sa rigueur esthétique, une grande attention aux vêtements et aux couleurs, ainsi qu'aux accessoires.

Dans cette Belle, rien n'est enchanté ni merveilleux. Les couleurs brunes, taupe, grises, l'archétype de la famille petite-bourgeoise avec sa salle à manger, sa voiture, sa progéniture, en témoignent. Cette progéniture, c'est la belle Aurore qui, dans la vision d'Ek, est une collégienne en jupe plissée grise et socquettes roses, rebelle et droguée à l'héroïne, mais aussi, sinon surtout, à une sorte d'antiprince, Carabosse, son revendeur et amant. À la fin, un vrai prince en costume-cravate la sauve, mais c'est pour mieux reproduire le modèle parental qu'elle exécrait.

Ciel lourd

Cet univers désenchanté, et c'est là le principal intérêt de la pièce, surtout en seconde partie, est transfiguré, comme un ciel lourd traversé d'éclaircies, par des scènes loufoques et colorées: les robes or, argent, émeraude et rose des fées qui veillent sur Aurore, un cuisinier qui soudain découpe un saumon sur scène... Mats Ek nous rappelle ainsi que la féerie que recherche Aurore en se trompant de substance appartient exclusivement à notre univers intérieur, imaginaire, sinon rêvé.

Cette vision sociale reste somme toute assez convenue et consensuelle, ni nouvelle ni impertinente. Mais la danse de Mats Ek, rapide, enlevée, avec cette amplitude des membres brisée d'intempestives cassures, et la remarquable interprétation qu'offrent les danseurs d'un vocabulaire si exigeant, emportent l'adhésion. On passe une bien belle soirée.

> La Belle au bois dormant de Mats Ek pour les Grands Ballets, jusqu'au 26 octobre au Théâtre Maisonneuve