Quelle soirée! Une onde d'énergie qui envahit la salle pleine qui, d'un même élan, le spectacle à peine fini, se dresse pour applaudir à s'en chauffer les paumes, et taper des mains en cadence tandis que les danseurs sur scène poursuivent la danse en plusieurs rappels joyeux souriants et généreux.

Rarement spectacle se finit dans une telle communion, une liesse si totalement invitante. Or c'est ce qui arrive avec le double programme Correira et Agwa de la troupe Käfig du chorégraphe français Mourad Merzouki qui, pour la seconde pièce, a mêlé des danseurs brésiliens des favelas de Rio aux interprètes de sa propre compagnie, désormais installée au Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val de Marne qu'il dirige depuis 2009.  

Une troupe composée d'hommes, de jeunes hommes, tous magnifiques, magnétiques, danseurs époustouflants. Une plastique mâle mûe par une énergie de feu de dieu. L'élasticité, la fluidité, la posture mais aussi la prouesse acrobatique, l'extrême maîtrise musculaire et la fulgurance rythmique, caractéristiques du hip hop, sont absolument au rendez-vous. On en reste captivés. Tout ce qu'on aime du hip hop est là, à un niveau virtuose. Käfig c'est ça, mais aussi, sinon surtout, beaucoup plus que ça.

Ce n'est pas la moindre des réussites de Merkouzi et de ses danseurs, et c'est aussi leur singularité, que d'avoir réussi à conserver l'énergie originelle de ces danses de rue, le besoin brut d'expression dont elle surgit, tout en l'ayant poussée beaucoup plus loin. Jusqu'à en faire un véritable langage chorégraphique contemporain, minutieusement architecturé, scénographiquement et artistiquement exigeant, magnifié par une attention soutenue aux lumières, aux images, aux détails, à l'impeccable harmonisation des duos comme des danses de groupe à l'unisson. Et particulièrement, au choix libre et audacieux de musiques du monde, d'horizons culturels diversifiés, auxquelles on ne rattache pas d'emblée le hip hop.

Dans ces deux pièces inoubliables et exaltantes, Merzouki utilise le vocabulaire du hip hop pour le conjuguer à d'autres, créant les mixages mais ouvrant aussi, du coup, les horizons. En l'occurrence pour assurer, dans ces deux pièces, la rencontre entre le hip hop et la capoeira, mais aussi avec la bossa-nova, la samba, le tango ou une musique russe. Entre des jeunes qui vivent de part et d'autre de l'océan.

Sur le thème de la course dans Corriera et sur celui de l'eau dans Agwa, les pièces fourmillent de trouvailles ingénieuses, inspirées ou drôles. Mais par-dessus tout, elles sont emplies d'une poésie infuse. Une poétique mâle. Chez Merzouki les «bad boys» sont des poètes humanistes.

Correira et Agwa, de la compagnie Käfig. Encore ce soir, 20h, au Théâtre Maisonneuve.