L'objectif avoué du metteur en scène Mark Lawes et la compagnie d'artistes de la Theatre Junction GRAND est de propulser le théâtre présenté à Calgary vers la création contemporaine, inspirée notamment par ce qui se fait en Europe. Lucy Lost Her Heart, première présence de la compagnie à Montréal, à l'affiche cette semaine à l'Usine C, emprunte certes aux codes et à l'esthétique postdramatiques, mais provoque uniquement la confusion.

La prémisse du spectacle: des rescapés de quelque apocalypse se réfugient dans les souterrains d'une mine de charbon abandonnée. Dans ce monde de noirceur, la vie s'organise, incertaine, en quête de nouveaux repères. Chaque personnage se raconte et témoigne de vies brisées bien avant la catastrophe. Illusions fracassées, discrimination, humiliations, traumatismes.

Distribution transdisciplinaire et bilingue, fragments narratifs puisés au vécu des interprètes et travaillés en improvisation, bidouillage musical en direct, scénographie épurée, projections: les ingrédients qui permettraient à Lucy Lost Her Heart de sortir des ornières d'un certain classicisme sont certes présents.

Sauf qu'au lieu de se répondre et de s'articuler entre eux pour avoir du sens, tous ces éléments, faute de choix dramaturgiques assumés, se subordonnent carrément à un entrelacs de trames narratives confuses et cousues de fil blanc, portées par des textes bavards auxquels se heurtent les comédiens. De plus, la transgression des genres, pourtant chère à la création contemporaine, est bien timide: les soupçons de danse et de chant, par exemple, ne subliment que très rarement une action ou une idée et on pourrait très bien s'en passer.

Empruntant à la mythologie de l'Ouest, Lawes et ses collaborateurs tentent d'élaborer une fable onirique qui joue, pêle-mêle et avec force lieux communs, sur les archétypes du bon sauvage, du cowboy, de l'immigrant, plus particulièrement asiatique, et des laissés pour compte de la ruée vers les richesses. Or, si Lawes veut ainsi nous amener à réfléchir aux ratés de l'Histoire et aux aléas du postmodernisme, au lieu de laisser les récits individuels, dont certains sont assez percutants, raisonner entre eux, il se sent vite obligé de relier artificiellement les destinées de chacun des personnages avec une incompréhensible histoire de meurtre et de trahison amoureuse. Chassez la tentation d'une narration linéaire et elle revient au galop! Lucy Lost Her Heart est peut-être novateur à Calgary, mais à Montréal...

Lucy Lost Her Heart, de Theatre Junction GRAND, dernière représentation ce soir à l'Usine C.