C'est un bel événement. Le Ballet National de Cuba, accompagnée par sa fondatrice et directrice artistique Alicia Alonzo, immense danseuse aujourd'hui nonagénaire, est à Montréal pour la première fois à l'invitation des Grands Ballets canadiens. Leur représentation de Giselle offre un pur moment d'émotion. Un enchantement comme on ne pense même plus en voir en danse classique.

Quand on est précédé de la réputation internationale, acquise dans les capitales américaines et européennes, d'être les meilleurs danseurs du monde, on a intérêt à se montrer à la hauteur de sa propre légende. Le moins que l'on puisse dire est que les danseurs du Ballet de Cuba en font une brillante démonstration. Une chance rare de voir du classique de ce calibre à Montréal.

Virtuoses, ils le sont indiscutablement, à tous les niveaux, du corps de ballet aux premiers rôles. Avec des lignes de corps parfaites, millimétrées, des prouesses techniques dont l'extrême difficulté méduse, des sauts athlétiques quasi arrêtés en vol, possibles chez les danseurs grâce à une musculature et une souplesse admirables, des enchaînements si rapides suivis de gestes si délicats chez les danseuses, le tout avec une aisance aussi simple que s'ils faisaient une promenade.

Mais ils sont infiniment plus: expressifs, passionnés, vibrants, tour à tour tendres et amoureux dans le premier acte qui soudain finit en vrai drame par la mort de la jeune Giselle emportée par son amour contrarié pour Albrecht. On vibre avec eux. Quand arrive le deuxième acte, signature de Giselle, avec son déploiement de figures d'une extrême exigence, qui mettent en scène les fameuses Willis, esprits en longs tutus blancs vaporeux, on vit ce que cette partie devrait idéalement être: un enchantement. Un concentré d'art consommé et d'émotion partagée.

«Le danseur virtuose qui ne brille que par la splendeur de la technique et qui tournoie sur scène dans un vide mécanique n'appartient pas aux élus.» Ainsi parlait Mary Wigman, créatrice de la danse expressionniste allemande au tournant du XXe siècle. On ne peut pas ne pas repenser à ses paroles en admirant l'épure des gestes, le décor atemporel, les lumières sages mais efficaces, la bande-son (qui eut gagnée à être interprétée en direct), la sobriété des costumes, qu'Alicia Alonzo a donné à cette oeuvre-clé depuis 1948. La virtuosité pleine, habitée, inspirée de ces danseurs cubains en fait des élus.

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Giselle, à la salle Wilfrid-Pelletier, ce soir et samedi, à 20 h.