Considérer Savion Glover comme un «danseur à claquettes» serait singulièrement réducteur: en prêtant son jeu de pieds au film d'animation Happy Feet, en jouant dans le légendaire musical Bring in Da'Noise/Bring in' Da Funk ou en mêlant sur scène tap dance et musique classique par exemple, Glover actualise constamment son art. Justement, demain après-midi, il sera à la PDA en compagnie de musiciens... flamenco!

«Pour moi, le tap dance est un art musical plutôt que chorégraphique, explique Savion Glover au bout du fil, un art où mon corps, mes pieds sont un instrument, un instrument de percussion, avec lequel je peux composer des musiques. En fait, tient-il à préciser, le corps est l'outil, c'est l'esprit qui est le véritable instrument. Je ne me rappelle plus exactement quand j'ai commencé à percevoir le tap dance de cette manière, mais je crois que même mes professeurs estimaient que cette «danse» était quelque chose de plus musical que visuel.»

C'est dans cette perspective que Glover a appris, notamment des grands maîtres Gregory Hines et Jimmy Slyde, à faire de «l'improvographie», née des mots «improvisation» et «chorégraphie»: «C'est encore là une démarche essentiellement musicale, reprend l'homme aux longs dreads. Nous avons une idée du son, de la «mélodie» que nous voulons jouer avec nos pieds, sans que cela soit entièrement chorégraphié. C'est vraiment une question de son et d'intention. Bien sûr, nous travaillons avec des pas et des mouvements corporels, mais c'est pour en faire de la musique.»

Pour mesurer à quel point Glover est doué depuis l'enfance, mais aussi pour constater à quel point il a évolué depuis, il faut le regarder danser dans le film-culte Tap, tourné en 1989 (https://bit.ly/40J35F): âgé alors d'une quinzaine d'années, le jeune Savion multiplie les pirouettes et couvre une grande surface en dansant.

Or, au fil des ans, il a peu à peu restreint cette surface et aujourd'hui, il se produit sur une espèce de podium relativement petit (environ 3 mètres sur 1,5): «Plus jeune, mon approche était plus visuelle et exigeait donc plus de place, dit l'artiste de 38 ans. Comme j'essaie désormais de «composer» plutôt que de «faire de la claquette», un espace plus petit permet de mettre l'accent sur le son. De cette manière, le public peut mieux entendre, mieux se concentrer pour écouter la musique du tap dance, plutôt que de la regarder. Disons que l'espace est maintenant dans la tête!»

Place au flamenco

Au fil des ans, Glover a «tap-composé» avec des musiciens classiques, des jazzmen, des rappeurs... Cette fois, pour son Solo in Time, c'est avec quatre musiciens de flamenco contemporain qu'il se produit à la Place des Arts, en après-midi (avis aux familles!): «Plus je peux amalgamer ce que je fais à toutes sortes de musiques plutôt qu'à la musique traditionnellement liée au tap dance, plus je peux permettre aux gens de percevoir le tap dance comme une musique.»

Et comment explique-t-il le titre de ce spectacle, Solo in Time, alors qu'ils sont en fait six sur scène, dont deux danseurs? «Au départ, explique en riant Glover, je devais être en performance solo en compagnie de musiciens flamenco (l'ensemble Flamenkina, composé d'une percussionniste-chanteuse, un guitariste, un bassiste et un trompettiste): j'avais envie de travailler sur la musique percussive dont la tradition se perd dans la nuit des temps. Mais finalement, j'ai décidé de faire appel à Marshall Davis Jr. (lui aussi danseur et «tap-compositeur» doué). Pour ce qui est du «Time» (temps), c'est une façon d'évoquer l'infini, tout simplement. Finalement, c'est devenu juste un titre!»

S'il est un indéniable virtuose, Glover privilégie désormais une approche plus subtile: «Je préfère que les gens ressentent la vibe plutôt qu'ils s'ébahissent devant le nombre de taps que je peux faire par minute.»

C'est justement pour que le public se concentre sur l'essentiel que le «tap-compositeur» ne porte plus ses fameuses chaussures vertes flamboyantes: «Pour les enfants à qui j'enseigne, explique-t-il en riant, c'était même devenu une espèce de «raccourci»: si tu portes des chaussures vertes cool, tu vas danser comme Savion. Non, mon ami. Ce n'est pas la couleur des chaussures qui importe, justement. J'ai donc décidé de ne plus les porter. Le tap dance, c'est beaucoup plus que des apparences...»

Savion Glover dans Solo in Time, demain, 14h30, à la salle Wilfrid-Pelletier de la PDA.