Le monde féminin clos sur lui-même devient immanquablement un univers hystérique, sinon psychotique (puissamment démontré dans le film Black Swan). En d'autres termes, ça s'appelle un panier de crabes. Fascinant et inquiétant, dangereux même. Dans cette nuit utérine, la confrontation permanente au pareil que soi, cet autre dont l'individualité singulière finit par disparaître dans un miroir intérieur, ne trouve pas d'issue et vire à l'enfermement, voire à la suffocation.

La violence, l'autodestruction grugent l'espace, plombent toute possibilité de fuite, quand bien même se projetterait-on, à perdre haleine, au risque de se briser, contre les parois de ce royaume lunaire, sans soleil, sans lumière, sans chaleur. Sans trace de masculin. La pièce met admirablement en scène une terreur du féminin pris à son propre piège, dans une perspective pessimiste, et stérile. Stérile comme Artémis-Diane, la figure mythologique que Manon Oligny revendique comme source d'inspiration de sa pièce Tartare.

Artémis-Diane, jumelle d'Apollon et avec lui protectrice des adolescents prépubères, vierge farouche que la perspective de perdre son hymen, et sa liberté, rend assassine. Un univers apocalyptique, la fin d'un monde et peut-être la naissance d'un autre. Inconfortable, cette pièce ne laisse pas indifférent.

Outre la justesse de l'environnement fait de pénombres gris-brun, de lumières crues projetées en rayons verticaux, aux accessoires qui tous évoquent l'animalité et l'aliénation, l'essentiel tient aux trois formidables interprètes de Mandala Situ, Marie-Gabrielle Ménard, Geneviève Bolla et Émilie Gratton-Beaulieu, lesquelles, comme à leur habitude, sont allées chercher un chorégraphe pour offrir leur talent d'interprétation et ainsi le faire évoluer. Pas de protection, ni de demi-mesure, ces trois filles vont au bout d'elles-mêmes comme si elles jouaient le tout pour le tout. On vit pleinement avec elles le désir de se sortir de là, désir sublime, mais vain. La prison lunaire se referme et elles finissent comme elles ont débuté, attachées à leur laisse, entre chienne et louve.

On retrouve dans Tartare le propos de Manon Oligny, et ses obsessions, forcément. Il ne s'agit pas de discuter la vision du monde d'un créateur. Il s'agit de voir comment celle-ci a été concoctée et transmise par l'artiste. Ici, la cohérence entre le propos et la pertinence de la forme est incontestable, et avec une justesse beaucoup plus convaincante que dans Icônes, à vendre, l'autre trio féminin signé par Manon Oligny en ce début 2011. Mandala Situ marque un pas décisif dans son cheminement.

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Tartare, de Manon Oligny pour Mandala Situ. Jusqu'au 5 février, 20h, au Théâtre de la Chapelle.