Le chorégraphe américain Merce Cunningham, mort dans la nuit de dimanche à lundi à l'âge de 90 ans, s'est imposé comme l'une des figures majeures de la danse contemporaine dont il a inlassablement réinventé les codes.

Surnommé l'«Einstein» de la danse, Cunningham a dynamité dès les années 1950 les codes du ballet: le danseur ne se déplace plus en fonction du centre de la scène, il est lui-même un centre. «Au contraire du danseur classique, j'estime tous les mouvements possibles et ne compose pas en me repérant sur le centre de la scène», expliquait-il.

Cunningham a libéré la danse de la musique, du décor, de la narration, créant des pièces où la danse ne s'appuie que sur elle-même si bien qu'«il n'y a plus de domination d'un art sur l'autre. Leurs rapports sont totalement libres».

L'inépuisable courage imaginatif du chorégraphe qui affronta longtemps sifflets et incompréhension du public s'est exprimé à travers le concept des Events. Il s'agissait de présenter tout ou partie de spectacles existants mais l'ordre, la durée des séquences, le nombre et le rôle des danseurs étaient livrés au hasard, souvent tirés aux dés.

«J'aime le stress du hasard. Les propositions qu'il vous fait vous obligent à découvrir ce que vous ne savez pas encore», avouait le chorégraphe au regard bleu acéré.

Né le 16 avril 1919 à Centralia, dans l'État de Washington, Mercier Philip Cunningham, fils d'un avocat, étudie le théâtre et la danse de 1937 à 1939 à la Cornish School à Seattle.

Le jeune homme élancé y rencontre le musicien John Cage, qui accompagne au piano les cours de danse. De sept ans son aîné, ce compositeur d'avant-garde sera son compagnon de vie et de travail jusqu'à sa mort en 1992. Les deux artistes travaillaient ensemble mais composaient chacun de leur côté, musique et chorégraphie se rejoignant au moment de la première représentation.

Doté d'une détente exceptionnelle, Cunningham est engagé en 1939 comme soliste dans la compagnie de Martha Graham. Mais le travail de la pionnière de la «modern dance» est trop centré sur l'émotion pour Cunningham qui affirmait que «le mouvement n'a pas à traduire l'émotion, il doit en être la source».

En 1944, dans un minuscule théâtre de New York, Cunningham, chevelure en boucles serrées et jambes puissantes, présentait ses premiers solos avec John Cage au piano.

La Merce Cunningham Dance Company, qu'il fonde en 1953 au Black Mountain College, une communauté d'artistes en Caroline du Nord, lui permet de travailler avec des peintres prestigieux: Robert Rauschenberg signe le décor de Summerspace (1958), Jasper Johns celui de Walkaround Time (1968). D'autres plasticiens apportent leur univers comme Andy Warhol et ses coussins volants pour Rainforest (1968).

Cunningham s'est souvent produit en France, pays qui l'a fait Officier de la Légion d'Honneur en 2004. Il a continué de diriger sa troupe jusqu'à sa mort, depuis son fauteuil roulant, et avait annoncé en juin le lancement d'une tournée mondiale de deux ans.

Perpétuel novateur, Cunningham avait fait entrer dès les années 1970 les nouvelles technologies dans ses créations en collaborant avec des vidéastes comme Charles Atlas et Eliott Kaplan.

Dans les années 1990, le patriarche franchissait un cap, utilisant un logiciel de simulations de mouvements, Lifeforms, pour composer ses chorégraphies comme Biped en 1999.

Septet (1953), Rainforest (1968), Un jour ou deux (1973), Duets (1980) figurent parmi les quelque 200 chorégraphies de cet artiste foisonnant qui aimait aussi dessiner et jouer au théâtre.