Première canadienne mercredi, à Ottawa, de Körper, une oeuvre phare de la chorégraphe allemande Sasha Waltz, présentée, cette fin de semaine, à la Place des Arts, dans le cadre du Festival TransAmériques. Des corps, des corps et encore des corps.

Il y a des scènes si étranges et fascinantes qu'on voudrait qu'elles durent. Dans un des premiers tableaux de Körper, des danseurs pénètrent dans un immense cadre: ils s'y insèrent par les côtés, par le bas et le haut. Petit à petit, ces corps, presque nus, envahissent tout l'espace du cadre. L'effet est saisissant, surréaliste, d'autant que les interprètes semblent défier les lois de l'apesanteur, se frayant lentement un chemin les uns au travers des autres avec l'agilité d'un ver de terre.  

Dans Körper, qui signifie «corps» en allemand, Sasha Waltz déballe littéralement des trésors d'imagination, dans le but de donner à voir non pas un corps, mais des corps.

 

Parce qu'il est question ici d'illustrer toute la charge symbolique que charrie notre enveloppe charnelle. Ainsi, dans la scène du cadre, Waltz présente le corps dans sa dimension imagée, une abstraction sur laquelle les artistes projettent tous leurs fantasmes.

À l'autre bout du spectre, Waltz explore le corps dans ce qu'il a de plus concret: sa physiologie et sa mécanique. Alors, elle le mesure, le pèse et le dissèque pour en extraire l'eau, les boyaux et les organes, scènes qui amènent Waltz à aborder la valeur économique du corps: trafic d'organes, chirurgie plastique, etc.

 

Par ailleurs, il y a le corps que l'on a, mais aussi celui que l'on s'imagine posséder, siège de toutes les dysmorphies et les hypocondries: «Docteur, croyez-vous que j'ai le cancer?» demandera le danseur Luc Dunberry (un Québécois membre de Sasha Waltz&Guests depuis 1996).

 

Dans Körper, Waltz livre tous ces concepts dans un ordre tout à fait arbitraire, en une suite de tableaux, magnifiquement composés, mais dont aucun n'a vraiment préséance sur les autres. Par ailleurs, si la chorégraphe mêle ici des esthétiques des plus variées, le ton lui, même si l'on parle de peau, de sensations ou d'outrages au corps, reste invariablement neutre.

 

C'est que Körper, créé en 2000, marquait pour Waltz un changement de cap vers une plus grande abstraction: évacué, le côté débridé qui faisait le charme de ses créations antérieures. On est ici dans la démonstration: pas d'éclat, pas d'excès (même les quelques moments d'humour bien placés arrivent par la bande, sans tambour ni trompettes).

 

Passion et sexualité (dont Waltz inonde S, l'oeuvre qu'elle crée suite à Körper) sont évacuées au profit d'une grande objectivité. Mais la chorégraphe a péché par excès: après quelques tableaux, l'exercice prend des allures de litanie. À trop de neutralité, le spectateur décroche, même si les dernières scènes donnent l'espoir de lendemains plus charnels.

 

Körper, ce soir et demain, 20h,

à la salle Maisonneuve

de la Place des Arts.