Sur papier, l'idée est bonne. Troquer le complet pour le tailleur, la cravate pour les talons aiguilles, en attribuant les rôles masculins de Glengarry Glen Ross à une distribution entièrement féminine. Toutefois, il ne s'agit pas d'une primeur. Depuis la création de l'iconique pièce de David Mamet, il y a eu, entre autres, une lecture publique à Los Angeles, avec Robin Wright qui jouait Roma, Catherine O'Hara, Levine.

Après tout, le monde «des requins» de l'immobilier attire de plus en plus de femmes, et l'argent n'a pas de sexe. 

On avait donc très hâte de voir ce projet de Brigitte Poupart et sa compagnie. Or, avec sa nouvelle adaptation féminine de Glengarry Glen Ross n'apporte rien de vraiment nouveau au texte de Mamet, créé à Broadway en 1984, puis adapté au cinéma, huit ans plus tard. Cette production semble perdue dans l'espace de l'Usine C. Comme on mettait une distance entre l'oeuvre et le spectateur...

Fils spirituel d'Arthur Miller, David Mamet expose aussi avec sa pièce à succès le revers du rêve américain, les conséquences dramatiques du capitalisme sauvage. L'action se passe dans le bureau d'une agence immobilière qui, après de beaux jours, connait une période creuse. L'atmosphère est tendue. La compétition est féroce entre les vendeurs, desquels on affiche les chiffres de ventes sur un tableau d'honneur, bien visible au centre de la scène. Tout est permis pour (re)monter au classement de ce tableau. La vente est une jungle, et les taux sont volatils.

Sans relief

Dans la production de Transthéâtre, on ne sent pas la moindre atome d'humanité. Le décor est beige et la scène recouverte d'une moquette grise; l'espace est vaste; l'éclairage blafard; et la mise en scène unidimensionnelle. Dans sa direction d'actrices, Brigitte Poupart a opté pour un jeu non-théâtral, sans relief ni projection de la voix (les interprètes ont des micros cachés). Si le milieu dépeint par Mamet n'est pas coloré, il n'est pas monochrome pour autant. Nous sommes dans un univers où les couteaux volent bas, où les échanges sont virulents. Or ici, les dialogues sont monotones.

On comprend que Poupart ait voulu insuffler une atmosphère grise et hostile à «cet enfer néo-libéral», ce monde déshumanisé, froid et sans émotion, où les chiffres remplacent les sentiments. Mais Glengarry Glen Ross se joue sur la corde raide, avec ses tripes, cette joute verbale doit résonner directement dans la salle. Or ici, on ne brise pas le quatrième mur: on érige une chape de plomb entre le public et la scène.

Dans le rôle de l'ex-étoile, de l'immobilier en déclin, Shelley «The Machine» Levine qui veut une deuxième chance, Micheline Lanctôt fait un retour sur les planches. On sent son inexpérience, malheureusement, sa difficulté à habiter l'espace scénique, son malaise corporel.

Outre Lanctôt, la distribution est hétérogène, voire inégale. Elle comprend Guillermina Kerwin en agente vorace et menteuse; Marilyn Castonguay, Léa Simard et Geneviève Laroche. Louise Bombardier est très drôle dans le rôle de la vendeuse naïve, peureuse, et Isabelle Miquelon, tout en fureur, livrent d'excellentes prestations. Il fait bon de voir sur scène, ces deux comédiennes d'expérience, sous-utilisées depuis quelques années.

«C'est un monde d'hommes, chante James Brown. Mais il ne serait rien, rien sans une femme; ou une fille.» À partir de ce monde masculin impitoyable, imaginé par David Mamet, on aurait aimé que l'ajout d'une vision féminine ne soit pas que symbolique...

* * 1/2

Glengarry Glen Ross de David Mamet. Mise en scène: Brigitte Poupart. Avec Micheline Lanctôt, Louise Bombardier, Isabelle Miquelon... À l'Usine C, jusqu'au 13 mai.