Après La logique du pire, un brouillon peu convaincant, Étienne Lepage revient en force avec Toccate et fugue, une partition riche portée par une excellente distribution.

Dans Toccate et fugue, Étienne Lepage trace un portrait saisissant et cruel d'un groupe de jeunes gens qui parlent beaucoup pour ne rien dire et qui ne peuvent pas se toucher en dehors d'un contexte sexuel. Un groupe d'analphabètes du corps et du coeur.

Cinq amis se réunissent pour célébrer l'anniversaire de l'une d'entre eux. Cinq personnes qui ne s'écoutent pas vraiment, qui n'en disent pas beaucoup plus. Qui ont besoin de musique forte pour faire taire leur petite voix intérieure, qui finissent souvent leurs phrases par les mots « pour vrai » parce qu'ils sonnent si faux. Cinq amis cruels les uns envers les autres parce qu'ils ne savent pas faire autrement.

La fête, la musique, le sexe représentent leurs seuls exutoires, leurs seules façons d'oublier ou, pire, de nier le mal d'être qui les habite. Ces cinq amis - impeccables Sophie Cadieux, Maxime Denommée, Francis Ducharme, Karine Gonthier-Hyndman et Mickaël Gouin - sont malhabiles et superficiels, autant dans la parole que dans le geste. On en rit au début et en pleure à la fin.

Leur « party » ne lève pas : l'hôtesse est dépressive, le DJ, incapable de régler des problèmes de son, l'un est un amoureux transi, l'autre semble bipolaire... Des éléments extérieurs - un oiseau blessé et une prostituée (Larissa Corriveau) - viendront troubler leur semblant de gaieté et faire éclater le peu d'humanité qui leur reste.

Au sein de ce quintette désaccordé, les phrases virant à l'obsession deviennent des motifs répétitifs, les corps inquiets se désarticulent au rythme de l'incommunicabilité. L'incompréhension cède la place au mépris, à la culture du viol et à la violence tout court.

Le meneur de jeu, Florent Siaud, dresse une énergique chorégraphie tissée d'hésitations, de soubresauts, de tressaillements qui prennent la forme d'une spirale descendante. Immobile, l'élément dérangeant en la personne de la prostituée n'en devient que plus menaçant.

L'interprétation est de haut calibre, mais il nous semble que l'emphase mise sur certaines répétitions du texte n'était pas nécessaire. De plus, le recours constant aux bris techniques du système de son afin de rendre audibles les échanges entre les personnages devient lassant. Mais ces bémols n'enlèvent rien à la force du propos et à la pertinence de ce concert atonal.

Au final, les bêtes sortiront de la cage thoracique de chacun des membres du groupe qui s'entredéchireront. En se penchant sur l'oiseau, les cinq amis ne comprennent pas que c'est leur propre vide qu'ils contemplent.

Continuer à vivre blessé ou finir piétiné par l'indifférence ? Voilà la vraie logique du pire.

Toccate et fugue

D'Étienne Lepage

Mise en scène de Florent Siaud

Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 6 mai

Photo Nicolas Descoteaux, fournie par la production

L'arrivée d'une prostituée (Larissa Corriveau, à gauche) vient perturber la fête à laquelle participent les cinq amis de Toccate et fugue.

Photo Nicolas Descoteaux, fournie par la production

Sophie Cadieux et Karine Gonthier-Hyndman font partie de la distribution de la pièce Toccate et fugue, présentée au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 6 mai.