Comment régner dans un monde sans cesse en guerre? Comment s'aimer quand les familles se déchirent et les fils s'entretuent? Comment vivre quand la mort est sans pitié?

Le légendaire Peter Brook n'a pas de réponses, mais il nous propose quelques pistes à explorer avec Battlefield, sa courte pièce très zen et épurée, présentée jusqu'à samedi à la Cinquième Salle de la Place des Arts. Un moment de théâtre éblouissant pour les yeux et l'âme!

Le légendaire metteur en scène a adapté, avec sa fidèle collaboratrice Marie-Hélène Estienne, un extrait d'un conte du Mahabharata, écrit il y a des milliers d'années. Avec ses paraboles et ses allégories, ce livre, dit-on, est un peu l'équivalent de la Bible en Asie du Sud. Battlefield renvoie au champ de bataille des conflits armés sur la Terre, mais surtout à une autre bataille humaine: celle pour trouver la paix dans nos coeurs. 

La pièce débute à la fin d'une guerre impitoyable qui a anéanti une armée de guerriers. On pense au massacre au Rwanda et aux autres tragédies de l'histoire de l'humanité. À l'origine de ce carnage, un conflit familial qui oppose les frères Kauravas, dirigés par l'aîné Duryodhana, et leurs cousins les Pandavas, avec à leur tête le chef Yudishtira. Si ce dernier remporte le combat et devient le roi, son triomphe est amer. «Cette victoire est une défaite», dit-il à sa mère, lorsqu'il réalise qu'il a abattu son propre frère, en plus d'avoir participé à l'extermination de tout un peuple. La suite est une tentative d'ouvrir les yeux du conquérant, pour qu'il accomplisse son destin et règne sur le royaume. Et vive en paix.

La mort, le temps, le destin, le cycle de la vie. Ces grands thèmes universels sont évoqués dans la pièce, à travers des fables illustrées avec brio par les quatre interprètes.

On fait intervenir parfois des animaux, tantôt la nature, le Gange... Mais tout est raconté avec une économie de moyens, quelques accessoires tout au plus. Au début était le verbe, et la fable se fit théâtre. 

Simplicité volontaire

Dans Battlefield, la simplicité de la démarche artistique de Brook se marie à la richesse du propos universel. Cette pièce, créée en 2016 par le Centre international de créations théâtrales - Théâtre des Bouffes du Nord, est le résultat d'un formidable travail de recherche et de création. Et aussi d'un long processus d'épuration de son art par Peter Brook et ses complices.

Sur un grand plateau vide, jonché de morceaux de bambou, quatre interprètes vêtus de tuniques et de longues écharpes aux couleurs vives sont accompagnés par le musicien Toshi Tsuchitori au tam-tam. Dans la tradition des spectacles signés Brook, ils sont d'origines et de cultures diverses. Ces acteurs - Carole Karemera, Jared McNeill, Ery Nzaramba et Sean O'Callaghan - sont tous très solides, jouant avec sobriété, justesse et vérité.

Sur la scène de la Cinquième Salle, Peter Brook fait une merveilleuse démonstration de la place de la parole au théâtre. Battlefield illustre aussi notre besoin de retourner aux sources, à l'origine du verbe, de la tradition orale. Elle nous montre l'importance de la poésie pour mieux nous comprendre les uns les autres. À une époque où le mensonge et la vulgarité sont les maîtres du monde, cette pièce agit comme un baume sur les blessures de l'humanité.

****

Battlefield

D'après le Mahabharata et la pièce de Jean-Claude Carrière 

Adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne 

Jusqu'au 25 mars, à la Cinquième Salle de la Place des Arts 

En anglais avec surtitres français