Fred Dubé n'a pas la langue dans sa poche. Réputé pour son franc-parler et son humour politique qui décape, l'humoriste de la relève (est-on encore de la relève après 10 ans à rouler sa bosse?) arrive enfin dans les ligues majeures. Il présentait hier la «première médiatique» d'Anarcho-taquin. Était-il à la hauteur? Voici notre critique.

Quoi?

Après cinq spectacles solos présentés au Zoofest, l'équivalent pour la relève de Juste pour rire, voilà que Fred Dubé part en tournée avec Anarcho-taquin, son plus récent spectacle dont c'était la première médiatique, hier, au Club Soda.

Qui?

Qualifié de mouton noir de l'humour, surnommé (par lui-même) «Anarcho-syndicaliste Dubé», Fred, de son prénom, s'est illustré de plusieurs façons - pour le meilleur et pour le pire - depuis sa sortie de l'École nationale de l'humour, en 2005. En décembre, il perdait sa résidence humoristique à Plus on est de fous, plus on lit, sur ICI Première, après une chronique décapante où l'élite culturelle, les médias, la famille Molson et les organisateurs du 375e anniversaire de Montréal passaient dans le tordeur. Son passage comme chroniqueur au talk-show estival de Radio-Canada, Les échangistes, a également été bref, l'été dernier - son style décalé ne cadrait pas avec le ton de l'émission. «C'est drôle que l'humour soit peut-être la forme d'art la plus consommée au Québec, mais la moins audacieuse», disait en décembre à La Presse celui que l'on connaît aussi pour sa participation à la série documentaire Les 5 prochains, diffusée sur ICI Artv.

Le meilleur numéro: Le bien et le mal

Dans un numéro somme toute assez court dans lequel il analyse notre société, où nous sommes constamment confrontés à une logique binaire des enjeux mondiaux - le bien et le mal -, Fred Dubé y va d'une lancée poignante de vérité. L'humoriste rit entre autres du fait que nous dénonçons les régimes politiques totalitaires, où une minorité détient le pouvoir et l'argent, alors que le capitalisme libéral, dit-il, reproduit en partie cette même logique. Cette critique, qui est certainement un cliché, réussit tout de même à faire réfléchir le public, attentif et réceptif à son humour.

Le moins bon numéro: Les médias

Fred Dubé ne mâche pas ses mots dans une analyse cinglante des médias, des journalistes, mais plus particulièrement de TVA et de Radio-Canada, qui a mis fin l'an dernier à sa participation à une émission d'ICI Radio-Canada Télé et d'ICI Première. Il reproche entre autres à Pierre Bruneau, «un djihadiste de l'information», d'avoir parlé en ondes de terrorisme inversé concernant l'attentat de Québec, et rit ensuite de Radio-Canada qui sous-estime l'intelligence de ses auditeurs. Les échangistes, dit-il, est «un cimetière où vient mourir la pertinence». Dans ces passages du spectacle, on n'est tout simplement plus certain de départager l'humour des possibles règlements de comptes, notamment avec Radio-Canada. Il n'y a aucun problème à rire des médias, des journalistes et des carriéristes de l'information, et c'est même parfois drôle, car ses blagues frappent dans le mille. Mais une petite distance avec ses propres cafouillages médiatisés aurait peut-être été à propos compte tenu de son style d'humour «trash».

Les meilleures répliques

«Parfois, on dit que je suis un humoriste engagé. C'est faux, dans la dernière année, on m'a mis dehors deux fois de Radio-Canada. Je suis un humoriste désengagé.»

«Les réfugiés syriens, ça arrive "icitte", ça sort de l'avion armés... de diplômes! Je suis un humoriste, moi, je ne suis pas habitué à ça des gens, avec des diplômes.»

«Moi j'suis un vrai gauchiste. Eille, j'bois dans un pot Masson.»

«Ma petite fille [va s'appeler] Palestine. Mais juste Palestine. Je vais lui dire "tu auras un nom de famille quand ils auront un État. Milite".»

«Vous voulez lutter contre le radicalisme, lâchez les mosquées et [allez] aux HEC.»

Le verdict

Fred Dubé est cinglant, ses blagues politiques sont parfois percutantes et son cynisme décape, car il vise (à l'occasion) là où ça fait mal. On peut facilement dire qu'Anarcho-taquin est un spectacle qu'il maîtrise, mais il ne sort pas des sentiers battus. Oui, le niveau d'engagement de ses numéros est élevé - il faut être alerte et réellement branché sur l'actualité pour saisir le deuxième degré de son personnage, ce qui est peu commun en humour -, mais on n'est jamais vraiment surpris par ses blagues. Certains numéros, comme celui sur la gauche et la droite, excellent par ailleurs, ont aussi déjà été présentés par le passé.

Il est difficile de juger ce spectacle solo, puisque le niveau «trash» de ses numéros est souvent élevé. Pendant l'heure et demie du spectacle, on aime ou on n'aime pas - et le verdict change sans cesse. Comme son personnage, notre réaction à son humour ne donne pas dans la demi-mesure. Toutefois, le public présent hier au Club Soda a ri de bon coeur.

L'humour de Fred Dubé est assez niché, son personnage de militant toujours fâché par sa société est assez unique en humour politique. Il vaut certainement le détour pour se faire une idée.

Photo Bernard Brault, La Presse