Ce ne sont pas des créations tranquilles que nous réservent les Ballets Jazz de Montréal dans ce programme triple présenté par Danse Danse au Théâtre Maisonneuve jusqu'à demain. Énergie électrique et virtuosité sont à l'honneur dans cette soirée au rythme endiablé où les temps morts se font rares.

Fidèle à ses habitudes, la compagnie montréalaise menée par le directeur artistique Louis Robitaille met de l'avant le talent de ses 14 interprètes dans trois pièces dynamiques, qui demandent à la fois une grande musicalité et une technique irréprochable.

Les Ballets Jazz présentent trois créations récentes, jamais dansées à Montréal, et signées par des chorégraphes issus de la scène internationale. Deux chorégraphies de groupe, imaginées spécialement pour les ballets, Rouge, du Brésilien Rodrigo Pederneiras et Kosmos, par le Grec Andonis Foniadakis, puis un duo, Mona Lisa, de l'Israélien Itzik Galili, d'abord créé pour le Stuttgart Ballet en 2010, et repris en 2015 par BJM.

Inspiration tribale

Les deux créations pour groupe sont toutes deux très denses et occupées, et présentent une enfilade presque ininterrompue de mouvements d'ensemble, où se découpent ici et là solos, duos et trios.

Présentée en ouverture Rouge est, comme son nom l'indique, dominée par le rouge, qui est projeté sur la toile dressée au fond de la scène, comme un horizon de soleil couchant ou un magma qui remonterait à la surface. Une scénographie qui donne lieu à des effets visuels saisissants, où les silhouettes noires des danseurs viennent se découper sur la surface rouge.

Figure de proue de la danse brésilienne, Pederneira est le cofondateur de Grupo Corpo, une compagnie qui existe depuis près de 40 ans. On retrouve dans Rouge, qui se veut un hommage aux peuples amérindiens et à leur résistance, cette obsession ondulatoire que le public montréalais avait pu voir lors de son passage en 2010.

La pièce s'ouvre sur le groupe de danseurs qui entre sur scène au son de chants amérindiens scandés. Ces derniers deviendront partie prenante de la très belle trame sonore, riche et organique, signée par le tandem québécois Les frères Grand, où s'amalgament différentes références tribales, des bruits de la nature (oiseaux, grillons, bruits d'eau) et beaucoup de percussions, qui imposent un rythme de plus en plus endiablé aux danseurs.

Bassins ondoyants, pieds flex, piétinements au sol, la gestuelle se balance entre raideur et rondeur, donnant à l'ensemble un élan dynamique, en constante mutation. Hybride intéressant qui puise ses inspirations dans la capoeira brésilienne, la samba et le ballet, Rouge pose un degré de difficulté assez élevé au niveau de l'exécution, d'autant plus que le chorégraphe utilise beaucoup sur les contretemps avec des jeux de jambes et de pieds à la musicalité complexe. Si les danseurs se sont acquittés de cette tâche sans accroc majeur, on sentait parfois le «tricotage» et le tout manquait par moments de fluidité.

Un mot sur les costumes, aux références amérindiennes très stéréotypées: tuniques brodées à franges, bandes noires enserrant les biceps, traits colorés sur le visage, cheveux crêpés... Était-ce nécessaire d'appuyer autant sur ces clichés? Une approche moins littérale aurait peut-être mieux servi le propos chorégraphique.

Chaos moderne

De facture plus moderne, notamment par ses costumes noirs (création de Philippe Dubuc), Kosmos se déploie comme un sentiment d'urgence, à cent mille à l'heure, au son de la musique percussive endiablée de Julien Tarride.

Les interprètes sont engagés dans une course chaotique, qui semble à la fois une ode et une critique de la frénésie de la société moderne. Le mouvement est explosif, étourdissant, aux limites du contrôle avec les bras en moulinette qui fendent l'air, les cheveux libérés des danseuses virevoltent, le tout ponctué de sauts, courses, roulades et glissades au sol.

Certains cherchent le calme, tentent de s'asseoir en lotus pour méditer... Mais la tranquillité est toujours de courte durée, avalés qu'ils sont à nouveau par tourbillon du groupe, qui semble ne connaître aucun repos.

Et juste au moment où l'on se demandait où mènerait ce rythme frénétique, le ton change, les mouvements deviennent plus lents, réflexifs, libérés de toute tension. Un danseur s'avance, seul sur scène, alors que tombe sur lui un ciel noir constellé d'étoiles brillantes.

L'effet, réalisé grâce à une projection, est d'une grande beauté. Rejoint par les autres danseurs, les silhouettes anonymes de ces derniers se découpent dans l'espace, se regroupant en différentes figures fixes, comme des constellations dans le cosmos. Une finale très réussie, qui fait un contrepoids judicieux à cette course contre la montre qu'est Kosmos.

Fabuleux pas de deux

Le moment fort de la soirée tient en huit petites mais intenses minutes avec Mona Lisa du chorégraphe israélien Itzik Galili, un pas de deux réinventé où la talentueuse Céline Cassone (facilement reconnaissable à sa chevelure rouge comme le feu), chaussée de pointes, s'adonne à un jeu du chat et de la souris avec Mark Francis Caserta, sur une musique électronique entraînante faite d'échantillonnage de bruits de machine à écrire.

Se jaugeant du regard, affichant une attitude désinvolte avant de sauter tour à tour dans l'arène de la scène, les interprètes nous entraînent dans un pas de deux de haute voltige, au facteur de risque élevé avec ses portés extrêmement acrobatiques et figures alambiquées ingénieusement construites. Cassonne virevolte, gracieuse mais avec un air de défi, dans les bras de Caserta, offrant des extensions et grands écarts spectaculaires, qui défient le sens commun, et mettant en vedette ses jambes fuselées, vives comme l'éclair.

Dommage qu'en ce soir de première le duo ait raté un enchaînement, le pied de Cassonne ayant momentanément glissé de l'emprise de Caserta. Une faute vite rattrapée et pardonnée, les danseurs ayant offert autrement une interprétation sans faille.

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* * * 1/2

Ce soir et demain, à 20h. Au Théâtre Maisonneuve.