Malgré le titre, Funny Girl est un drame. Ou, disons, une comédie musicale dramatique où la musique, la danse et l'humour, même enlevants, ne réussissent jamais à faire oublier le vide de la solitude de la star, quand les spots s'éteignent et que cesse l'ovation.

Le Funny Girl du Centre Segal, en ouverture de saison, aurait pu se transformer en drame d'un tout autre ordre si la production s'était mise dans la tête d'imiter ou d'émuler Barbra Streisand, propulsée au rang de mégastar dans le rôle de Fanny Brice qu'elle a créé à la scène en 1964 avant de le reprendre au cinéma quatre ans plus tard. Aux côtés d'Omar Sharif, oui.

Le dramaturge et metteur en scène Peter Hinton, ancien directeur artistique du Théâtre anglais du Centre national des arts d'Ottawa, a rempli la petite scène du Segal jusqu'au bord, théâtre dans le théâtre où, assise devant le miroir de sa loge, Fanny Brice est à six pieds du public. Une Fanny à qui Gabi Epstein, avec son vaste talent et son sens du spectacle, insuffle sa propre énergie et son propre sens de la vie, assez loin du moule Streisand pour éviter le piège et, à ce qu'on en conçoit, assez proche du personnage historique de Fanny Brice (1891-1951), vedette de Broadway à l'époque de la Première Guerre mondiale.

En flash-back qui ont le bonheur de se confondre avec le présent, Hinton fait défiler des pans de la vie et de la carrière de Fanny: son corps maigrichon qui l'excluait d'office de la chorus line - les girls du Segal, ici, sont pulpeuses à souhait -, son irrésistible montée jusqu'au haut de l'affiche des Ziegfeld Follies - «Hello, gorgeous!» - et son mariage avec Nicky Arnstein, gambler et promoteur aux projets douteux qui finit par se retrouver en dedans.

Gabi Epstein a le physique et la voix de l'emploi et, malgré une légère propension à crier, elle livre des interprétations solides des succès de Funny Girl - People et, surtout, Don't Rain On My Parade -, efficacement accompagnée par un orchestre de six musiciens dirigé par Nick Burgess.

Dans ce rôle, la force d'Epstein, une grande comédienne, tient dans cette vulnérabilité qu'elle laisse brillamment paraître entre les bravades et les bons mots: «Je suis comme un bagel dans un plat de petits pains à l'oignon...»

Dans la peau d'Arnstein le bellâtre, John Ullyatt manque un peu de tonus même si sa moustache mince à la Clark Gable s'agence parfaitement avec son smoking. Corrine Koslo, par contre, brille de finesse dans le rôle de la mère de Fanny tandis que Jenni Burke, qui joue la discrète habilleuse noire, livre une vibrante interprétation de Cornet Man, une des belles chansons de Jule Styne et Bob Merrill.

Des numéros de production, souvent kitsch à souhait, on retient l'hommage à la mariée que Fanny sabote volontairement, au grand dam de son producteur, et la marche des troupes victorieuses dans Manhattan qui nous rappelle de spectaculaire façon la place de la Bannière étoilée dans le showbiz américain.

On aurait souhaité que Funny Girl se termine en apothéose avec, mettons, une reprise de Don't Rain On My Parade; le metteur en scène a choisi une finale en fondu avec une pièce plus douce qui n'en met pas moins un terme à un excellent spectacle où, au talent de ces 18 comédiens - tous des Canadiens -, s'ajoutent de belles trouvailles scéniques, comme l'idée, brillante, de remanier constamment l'espace avec des supports à costumes sur roues.

Fanny Brice, elle, «la plus grande star», saluait la foule en délire, allait enlever sa robe à paillettes, se démaquillait et rentrait chez elle. Seule. Et avec un grand vide dans le coeur, comme bien des stars en manque d'amour, dont la quête lui coûtera chèrement. Malgré sa lucidité: «Vous ne pouvez pas emmener votre public à la maison...»

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Au Centre Segal des arts de la scène jusqu'au 8 novembre.