Pour cette première mondiale sous l'égide du chorégraphe belge Stijn Celis, Les Grands Ballets offrent, avec La nuit transfigurée, un doublé créatif visuellement puissant aux esthétiques fort différentes, mais où les liens du coeur servent de trame commune. Soirée entre deux battements.

Après avoir consacré une soirée à Stravinsky avec Les Grands Ballets canadiens (GBC) en 2012, Stijn Celis est de retour. Il propose encore une fois une oeuvre où la musique, jouée en direct par l'orchestre des GBC, occupe une place prépondérante avec les compositions d'Arnold Schoengerg, de Malher et de Webern, entre autres.

Comme il l'a démontré avec Noces, son oeuvre phare - où il offrait une critique déjantée du mariage et de son rituel -, Celis aime bien poser un regard sur les valeurs et les rites contemporains, souvent joués en contraste avec la solennité de pièces musicales complexes. C'est d'ailleurs cette lecture qu'il privilégie dans Le regard d'Orphée.

S'inspirant du mythe d'Orphée et d'Eurydice, le chorégraphe évite une lecture trop littérale et en fait une allégorie dansée de l'inspiration, de l'art - représenté par un violon à la présence récurrente - et du sacrifice, amoureux ou artistique.

Première partie à grand déploiement



Cette première partie à grand déploiement utilise tous les danseurs de la compagnie. On y suit le voyage déambulatoire d'Orphée, qui débute le jour des funérailles d'Eurydice. Bercé par les souvenirs de son amour perdu et à la recherche de la porte des Enfers pour la retrouver, il croisera sur sa route des personnages mythiques - la mort, Perséphone, Hadès, Cerbère le chien à trois têtes, les Nymphes du Styx. Ces derniers semblent plutôt sortis d'une commedia dell'arte noire, baroque et futuriste que de la Grèce antique (mention spéciale aux costumes de Marija Djordjevic).

Les mouvements d'ensemble dynamiques de ces personnages infernaux déjantés, aux gestes théâtraux empruntés, rapides et anguleux, parfois désarticulés, parfois sinueux comme le serpent, s'offrent en contraste avec la grâce d'Orphée et d'Eurydice, unis par des envolées tendres au désespoir, comme si les amants savaient déjà leur destinée tragique.

La scénographie, sans cesse mouvante et visuellement impressionnante, constitue la grande force de la pièce. Grâce à un habile jeu impliquant le déplacement incessant de plusieurs portes sur roulettes et de chaises, Celis parvient à moduler et à créer de nouveaux univers, qu'Orphée traverse et où il vient poser son regard, ce même regard fatal qui lui fera perdre sa bien-aimée.

Au coeur de la nuit



En deuxième partie, l'exubérance laisse place à la sobriété de La nuit transfigurée, oeuvre pensive, poignante et habitée, éclairée par la lumière bleutée de la lune se hissant à l'arrière-scène sur une grande toile.

Cette oeuvre musicale signée par le compositeur allemand Schoenberg est inspirée d'un poème de Richard Dehmel. On y suit, marchant dans une sombre forêt, un homme et une femme, alors que cette dernière lui révèle qu'elle porte l'enfant d'un autre. De cette nuit naîtront des liens qui les transfigureront à jamais.

En utilisant sept couples de danseurs qui viennent occuper la scène tour à tour ou en groupe, souvent en duos, parfois en trios, le chorégraphe met en branle un ballet sans cesse en mouvement, porté par les courses emportées des amants aux visages interchangeables, s'éloignant, se rapprochant et se liant au coeur de la nuit.

Ronde et fluide, la gestuelle tourbillonnante, composée de sauts assistés, de portées, d'embrassades et de bras et de jambes qui s'entremêlent délicatement, fait écho de belle façon à l'émotion et à l'intensité qui animent la musique. Suivant son évolution vers l'union finale dans le pardon, la course des couples s'essouffle doucement vers la réunion lente, douce, puis enfin immobile des amants liés par leurs coeurs battants.

Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu'au 24 mai.