Premier amour est un texte peu connu de Samuel Beckett. Une nouvelle écrite en 1946 mais publiée beaucoup plus tard, après les succès de l'auteur d'En attendant Godot. L'oeuvre a fait l'objet de deux productions à Montréal, à l'automne 2010, alors que Samy Frey l'a donnée au Festival international de littérature; puis Jean-Marie Papapietro l'a mise en scène pour le comédien Roch Aubert à Prospero. C'est cette dernière production que le Théâtre de Fortune reprend ces jours-ci à la salle Fred-Barry.

Un homme est assis sur un plateau nu, mis à part des lumières et du filage qui jonchent le sol. Il ressemble à un clochard céleste dans cette constellation de fils. D'une voix calme, le narrateur entame à la première personne du singulier le récit d'un curieux amour passé.

On apprend qu'après le décès de son père, il a été expulsé de sa chambre. À partir de là, sa vie sera vagabonde. Sur un banc de parc, où l'itinérant a pris ses habitudes, il va rencontrer une femme, Lulu, qui est assez entreprenante. Malgré lui, le narrateur sera attiré par Lulu et accepte même d'habiter sous le même toit. Une fois installé, il nous apprendra (ce qu'on avait déjà deviné), que Lulu se prostitue. Puis, lorsque la relation devient sérieuse, il la quitte pour retourner vers une longue itinérance.

Premier amour est le récit d'un homme en marge et renfermé sur lui comme une huître. Chaque mot cache des choses enfouies au plus profond de son âme. On reconnait, bien sûr, le style et les thèmes chers à Beckett; quoique ce texte aille encore plus loin dans l'humour grivois, la scatologie et la marginalité. Il n'y a jamais de beaux sentiments dans Premier amour. Seulement le constat de la profondeur abyssale du vide et de la solitude.

Le metteur en scène Jean-Marie Papapietro a dirigé son acteur avec sobriété, voire austérité, le faisant bouger à peine. Le comédien évolue dans le clair-obscur et parfois dans l'obscurité. Roch Aubert maîtrise bien sa partition et il est habité par son personnage. Toutefois, son ton est assez monocorde et sa prestation un peu molle. Ce qui empêche de ressentir toute l'ampleur du drame. Certes, ce type de personnage demande davantage de finesse que de puissance dans le jeu. Mais un comédien peut porter les émotions tout en intériorité. Ce qui manque hélas dans cette production.

À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, jusqu'au 3 novembre.