Fred Dubé, «coup de coeur» du dernier Zoofest, est un pilier de la scène des bars montréalais. Humoriste résolument à gauche, il présentera son plus récent spectacle, Radical Pudding, les 7 et 27 novembre au Théâtre Sainte-Catherine et participe à la tournée Les 5 prochains, dans la foulée de l'émission diffusée à ARTV.

Les jeunes humoristes donnent une nouvelle impulsion à l'humour québécois et semblent progresser davantage en marge de la «machine» que leurs prédécesseurs, non?

Je ne dirais pas ça. Avant, il y avait une seule voie qui était assez claire: tu faisais un gala Juste pour rire, tu te faisais connaître et tu avais ton one-man show. Il y avait moins d'offres. Maintenant, il y a juste plus de portes d'entrée parce que c'est saturé de ce côté-là. Les cotes d'écoute baissent. Les galas Juste pour rire attirent de moins en moins d'«humoristes», mais de plus en plus de «vedettes de l'humour». Quand Gino Chouinard parle de se masturber dans les toilettes dans un gala Juste pour rire, ce n'est plus de l'«humour». Il y en a qui trouvent ça drôle, mais ce n'est pas de l'humour.

Il y a d'autres voies...

Oui, mais je questionne un peu certaines d'entre elles. Il y a de plus en plus d'humoristes qui animent des quiz, des talk-shows ou des émissions de radio. Ils se font plus connaître pour ça que pour leur humour. On connaît leur nom, on connaît leur face, mais on n'a jamais vu aucun de leurs numéros. Il y a plus de médias qui s'offrent à nous qu'à une autre époque.

L'une des voies qui existent depuis un certain temps est l'École nationale de l'humour. C'est rare de voir des humoristes qui n'y ont pas été formés. Je me demande s'il n'y a pas dans cette formation unique un formatage même inconscient de l'humour québécois...

Non, non, non! Pour l'avoir fait et pour avoir côtoyé des gens qui y travaillent, je trouve au contraire que l'École de l'humour encourage la créativité, est plus à gauche et même plus «antisystème» que les jeunes qui la fréquentent.

Elle encourage la diversité dans l'humour?

Il y a des profs qui viennent du département de science politique de l'UQAM, d'autres qui étaient dans les Zapartistes, il y a François Avard. Ils nous poussent à aller plus loin. Je dirais que 75% de mes profs, quand j'étais à l'École de l'humour, n'aimaient pas l'humour qui se fait au Québec. Je ne dis pas que l'École est parfaite et qu'elle ne mérite pas d'être critiquée, mais ce n'est pas vrai qu'il y a un formatage. C'est sûr que l'École attire beaucoup de gens qui veulent devenir des vedettes et gagner leur vie avec l'humour. Moi, si j'écris, c'est pas pour gagner ma vie; c'est pour ne pas la perdre! Tant mieux si je gagne ma vie en plus, mais je n'ai pas envie de pervertir mon art.

Tu parles de François Avard. Il a beaucoup d'influence. C'est un mentor pour plusieurs humoristes et ça se ressent...

Tu veux dire à la script-édition? Il est tellement iconoclaste et irrévérencieux. On ne le devine pas tant que ça chez les humoristes avec qui il travaille. On ne sent pas chez eux ce désir de révolution qui habite Avard. Il a un côté caméléon. Mais c'est vrai qu'il est un peu partout. Au moins, il est crissement bon!

Dans l'écosystème de l'humour, tu es perçu comme un mouton noir, un trublion qui n'accepte pas les règles du jeu. Tu te perçois aussi comme ça?

Ce sont des mots que j'aime entendre. Mais je doute aussi. Je me demande parfois si je ne me marginalise pas moi-même pour rien. Est-ce que je mène les bons combats? Je me demande si je ne devrais pas mettre un peu d'eau dans mon vin pour avoir accès à une plus large tribune, pour ne pas rester tout seul dans mon sous-sol. Quitte à employer des médias que je dénonce...

Comme m'accorder une entrevue?

Non, non, non! C'est une entrevue où j'ai le droit de dire ce que je veux. Ça me convient. J'irais même à Radio X. Pas pour faire une chronique sur n'importe quoi. Mais pour dire ce que j'ai à dire, pourquoi pas? Je n'écrirais pas une chronique sur le jardinage dans le Summum. Je ne ferai pas de publicité, ça c'est clair. J'en ai refusé plusieurs. Il n'y a pas de dialogue social là-dedans. Ça me fait chier qu'on utilise des vedettes, des gens en qui le public a confiance, pour vendre des produits malsains. Tu peux à la fois être porte-parole d'une fondation du cancer et d'une compagnie de malbouffe, de boissons gazeuses ou de chars. C'est quoi ça?

Je me demandais justement qui achetait une auto chez tel concessionnaire parce que telle vedette en fait la publicité. Ça doit fonctionner, vu qu'on paie des gens pour le faire...

C'est clair! Les vedettes, ce sont nos nouveaux oracles. Tu peux critiquer des politiciens et personne ne va réagir. Mais si tu critiques des vedettes, attention! Les sujets tabous en humour, selon ma propre expérience, c'est les vedettes, l'anarchisme, le féminisme, l'immigration et l'écologie radicale. Tu veux faire un froid, tu parles de ça! Ça m'inspire beaucoup.

Est-ce qu'on peut vivre de son humour quand on fonctionne en marge de la «machine»?

Ça dépend ce que l'on entend par la «machine»...

Le circuit de salles, les promoteurs, les tournées... Ce qui donne accès à un public. Tu arrives à gagner ta vie avec ton art?

Oui. En faisant différentes choses. J'ai une nouvelle chronique dans le journal Métro. Je fais des «corpos» (spectacles privés dans des entreprises), ce qui peut être très payant. Je fais un peu de télé. Avec tout ça, je gagne ma vie. Mais ce qui reste au centre de mes préoccupations, c'est de faire du stand-up.

Trouves-tu ça difficile d'être un humoriste de la relève?

Je suis vraiment choyé. J'ai accès à une tribune que des gens beaucoup plus talentueux et pertinents que moi n'ont pas. Des poètes, des intellectuels. Je n'ai pas besoin de grand-chose. Je ne dépense pas beaucoup. Je n'ai pas de char ni d'enfant...

J'ai vu le nouveau spectacle de Guillaume Wagner. Il parle de politique, des complexes québécois. J'ai rencontré Louis T. récemment, qui s'intéresse aussi beaucoup à la politique. Est-ce une coïncidence ou est-ce qu'il y a un mouvement d'humoristes de 30 ans qui ont envie de parler d'autre chose que de leur vie de couple?

Il y a un retour du balancier. Quand une génération fait trop de quelque chose, on veut s'en dissocier. Dans les années 90, les Mario Jean, Jean-Michel Anctil, François Massicotte ont fait évoluer l'humour en le rendant efficace et punché. On ne veut plus sentir le procédé humoristique. Ça ne nous fait plus rire. Le public connaît les mécanismes. On veut des personnalités, des styles, des gens qui laissent leurs tripes et se mettent à nu sur scène. J'essaie de développer mon propre style.