Le comédien et dramaturge Fabien Cloutier - Scotstown, Cranbourne, Billy (Les jours de hurlement) - a présenté sa dernière création, Pour réussir un poulet, cet automne au théâtre La Licorne. Le chroniqueur à l'humour décapant de l'émission Plus on est de fous, plus on lit! à la radio de Radio-Canada prépare un spectacle solo pour l'an prochain. Discussion sur l'année qui s'achève.

Si je te dis 2014, spontanément, tu penses à quoi?

Je trouve que le dernier mois a été très marquant sur l'idée qu'on a de la justice. Tout ce qui s'est passé autour de Ferguson, Eric Garner à New York, le policier à Longueuil qui a tué un enfant et à qui on a dit que ce n'était pas grave de rouler à 120 km/h, ça me trouble énormément.

C'est une poudrière qui risque de sauter avant longtemps. On a vraiment l'impression qu'il y a une justice à deux vitesses aux États-Unis.

Espérons qu'il n'y aura pas plus de morts et de violence. Je ne peux pas en vouloir à ces gens-là, 

à Ferguson, à New York, d'avoir envie de mettre le feu. On peut comprendre cette colère-là. On voit Eric Garner, sur vidéo, dire qu'il suffoque, et le policier qui l'étouffe est blanchi. À un moment donné, c'est trop.

Ce sont des sujets qui t'inspirent comme artiste? Te considères-tu comme un artiste engagé?

J'écris. Je fais de la création. Ça me donne - je ne sais pas si c'est un luxe - la possibilité d'être un artiste engageant plutôt qu'engagé. L'artiste engageant dit aux gens «pense à ça», plutôt que «pense ça». Je comprends qu'il y en a qui nous chantent la beauté du ciel bleu depuis des années et qui nous divertissent. C'est très correct. Je n'ai rien contre ça. J'essaie de mon côté d'écrire des oeuvres qui vont être engageantes pour le public, qui vont le forcer dans les derniers recoins de sa réflexion. Il va peut-être rire. Je ne suis pas prêchi-prêcha. Ce genre d'événement m'inspire et continue à me faire réfléchir à mon rôle comme artiste.

Certains t'ont reproché, dans la foulée de la controverse autour du franglais des Dead Obies, d'avoir déclaré ne pas voir dans les mélanges et la diversité un risque de perdre notre culture...

C'était dans une entrevue au Devoir. Il y a eu des réactions. Il y a des gens qui se sont fâchés. Ce qui m'énerve, dans cette histoire autour de la langue et des valeurs, c'est qu'il y a des gens qui voudraient que le Québec reste comme il est. On a changé. On a été des Canayens, des Canadiens français, des Québécois d'il y a 50 ans. On est des Québécois d'aujourd'hui, et j'ai l'impression qu'il y a des gens qui voudraient que plus rien ne bouge. Comme si on avait atteint la définition même de ce que devrait être un Québécois.

On fige l'image et on ne bouge plus...

Autant en ce qui concerne les valeurs que la langue. Oui, je m'inquiète du fait francophone. Oui, je crois à une forme de laïcité et à la protection des droits des femmes. Mais quand j'ai l'impression qu'on veut embarrer le Québec dans ce qu'il est présentement, ça me dérange. Parce que je ne trouve pas qu'on est à un moment de notre histoire où on est à ce point formidables qu'il est important de ne plus toucher à rien.

Il ne faudrait surtout pas se remettre en question!

On a été des Canadiens français, qui ont accueilli des Irlandais, des Écossais, et ç'a forgé ce que l'on est devenus. On n'est pas juste des Cloutier pis des Poulin de la France.

On est aussi des Cassivi...

Oui. On est des Italiens, des Portugais, des Espagnols, des Maghrébins, des Américains loyalistes qui ont migré vers le nord. C'est ce que nous sommes. Et je me demande tout à coup pourquoi il faudrait s'assurer que ça ne bouge plus.

Certains prétendent que si on écoute les autres, si on les accueille trop généreusement, on va se perdre et disparaître. Et que laisser Sugar Sammy faire des blagues sur nous, sur les francophones et les indépendantistes, c'est se laisser mépriser par «les autres»...

Je ne suis pas le premier à le dire, mais il y a de bien plus grandes menaces à la langue française que Sugar Sammy. Sugar Sammy fait des blagues. Est-ce qu'elles sont drôles? Ceux qui achètent des billets doivent le trouver drôle. Il a fait affaire avec une agence de pub efficace qui a mis le doigt sur le bon bobo. Il en a eu pour son argent: on en a parlé partout. On a parlé de ça plutôt que de parler des problèmes quotidiens de la langue et de la francisation. Des garçons qui ne finissent pas leur secondaire. Je pense que ça, c'est beaucoup plus dangereux pour l'avenir de la langue française au Québec. Comme le rapport que l'on a à la culture de façon générale. Si on s'assumait parfaitement, je ne crois pas qu'un gars comme Sugar Sammy nous ferait peur.

Ça parle plus de nos complexes que d'autre chose...

Il a mis le doigt dessus. Est-ce qu'on est face à un nouveau maître du deuxième degré? Je ne le sais pas. Moi, entre le risque de l'ouverture et le risque de la fermeture, je préfère le risque de l'ouverture. Et je suis un indépendantiste.

Moi aussi. Ce qui ne veut pas dire qu'on est en faveur d'un repli identitaire...

Je ne dis pas que le mouvement indépendantiste en est un de repli identitaire. Même s'il y en a qui voudraient le résumer à ça. C'est faux. Mais quand ce discours de fermeture prend le dessus, moi, je m'éloigne. Et je ne suis pas le seul à m'éloigner d'un parti qui peut avoir envie de remettre ça à l'avant-plan.

J'ai toujours été attiré par l'affirmation dans le mouvement indépendantiste. Ça ne m'intéresse pas de me définir a contrario. Je veux dire «je suis ceci», pas «je ne suis pas cela». C'est une question de perspective qui me semble fondamentale.

J'en parle et j'ai l'impression de marcher sur des oeufs. Quelle personne passant beaucoup de temps devant son ordinateur va m'écrire pour me dire que je suis colonisé? La vérité, c'est que moi, présentement, je n'ai pas peur. J'ai envie que ma langue soit défendue, qu'elle soit mieux parlée. J'ai envie que l'on soit plus cultivés, plus éduqués, plus ouverts. Pour moi, c'est ça, s'affirmer. Et quand dans mon quartier, dans une fête d'enfants, j'entends des garçons et des filles dont les parents viennent d'Amérique du Sud ou de Roumanie parler avec un accent de Limoilou, je n'ai pas peur.

Ses essentiels

Film

Requiem pour un beau sans-coeur de Robert Morin. Un film qui est arrivé dans ma vie à un moment où tout m'éloignait de l'art.

Littérature

L'épiphanie dans le front d'Érika Soucy. La prêtresse derrière l'Off Poésie de Trois-Rivières. Cette auteure est un des secrets les mieux gardés de Québec.

Musique

La fin du monde de Michel Faubert. Un artiste dont la démarche et l'oeuvre m'inspirent depuis plusieurs années.

Télé

Les Appendices. J'adore leur liberté, leur intelligence et cet oeil extrêmement aiguisé qu'ils ont. En plus, ce sont les idoles de mes enfants. Comme auteur, je suis aussi très stimulé par Breaking Bad et Sons of Anarchy.

Théâtre

La dernière pièce qui m'a reviré le coeur comme une crêpe, c'est Comment s'occuper de bébé, de Dennis Kelly, à La Licorne.

Arts visuels

Cooke-Sasseville