Le CV du concepteur de costumes François Barbeau court sur 60 ans et fait près de 40 pages. En le parcourant, une sorte de découragement m'a envahie. Je me suis demandé comment j'allais pouvoir résumer cette somme colossale de travail et de création.

Par où commencer? Quoi garder, quoi mettre de côté? Et comment rendre justice à ce grand maître, qui a créé des centaines de costumes pour des centaines de pièces, aussi bien à Montréal qu'à la Comédie-Française, mais qui a aussi prêté son talent au milieu de la danse, au cinéma, pour des films comme Léolo, Kamouraska ou Atlantic City, avant de diriger pendant quelques années un laboratoire au Cirque du Soleil.

La carrière de François Barbeau est tellement riche, foisonnante et jalonnée de rencontres - avec Sophia Loren, Marlon Brando, Burt Lancaster -, mais aussi avec des artisans au sommet de leur art, comme cette coupeuse italienne qui avait travaillé aux côtés de Visconti ou ce tailleur de chez Saint Laurent, qu'elle mériterait un livre. Sauf que ce ne sera pas François Barbeau qui l'écrira. L'homme est trop engagé dans le présent pour s'épancher avec nostalgie sur son passé.

J'aurais aimé retrouver François Barbeau dans son atelier de la rue Casgrain où, en infatigable chercheur, il teste, trafique et sublime les étoffes avant de les caresser, de les couper, de les froisser ou de les teindre. Mais ces jours-ci, François Barbeau passe le plus clair de son temps au Centre d'exposition de l'Université de Montréal, qui lui consacre, à partir du 25 mai, une importante exposition: François Barbeau créateur de costumes.

C'est dans cette vaste pièce sans fenêtres, aux murs peints en rouge théâtre, au sous-sol de la faculté d'aménagement de l'Université de Montréal, que j'ai retrouvé François Barbeau, entouré de ses fidèles fées, dont la conservatrice de l'expo, Andrée Lemieux.

On m'avait prévenue que Barbeau pouvait parfois se montrer revêche et bougon avec les journalistes. Pourtant, dès la première poignée de main, j'ai su que nous allions bien nous entendre. François Barbeau est le plus charmant des hommes quand il raconte ce qui l'anime et l'allume dans la vie: la recherche, le renouveau, la découverte de nouveaux matériaux qu'il convertit en étoffes sublimes ou en trompe-l'oeil efficaces, comme ces grands manteaux de cuir portés par Céline Bonnier et son entourage dans La reine-garçon.

«Comme la production n'avait pas les moyens de payer des manteaux de cuir, je suis parti à la recherche d'un matériau qui pourrait aussi bien prendre la lumière que le cuir. Je l'ai trouvé par hasard en jardinant: c'était de la toile géotextile. Sur scène, on aurait dit du vrai cuir», raconte François Barbeau avec une fierté toute scientifique.

Un génie de l'ombre

Ginette Noiseux, directrice du théâtre Espace Go, a été l'élève et l'adjointe du concepteur. Elle ne mâche pas ses mots: «François est un génie, dit-elle. Un génie de l'ombre qui a, ni plus ni moins, inventé le métier de concepteur de costumes au Québec. Avant lui, les actrices pigeaient dans leur garde-robe pour habiller leur personnage. Il est le premier à s'être battu pour la confection de vrais costumes et pour que ce soit autant un métier qu'un art.»

Le metteur en scène Serge Denoncourt, qui collabore souvent avec Barbeau, dont tout récemment sur Les liaisons dangereuses et bientôt sur Cyrano, dit qu'il est la référence incontournable du costume au Québec et que plus personne n'a une connaissance de la coupe de tissu et de la forme du corps humain aussi profonde que lui. «Tous les jeunes concepteurs de costumes devraient aller prendre un café avec lui au moins une fois dans leur vie», insiste-t-il.

Si fines et pointues sont les connaissances de Barbeau que pendant quelques années, il a dirigé un laboratoire de recherche au Cirque du Soleil. C'est là qu'il a créé des étoffes légères et résistantes avec du papier d'emballage d'avion, opéré des croisements entre le feutre et l'organza ou pratiqué la sublimation, une technique de photocopie à chaud qui imprime des motifs à moindre coût. On pourrait croire que le concepteur a eu une formation scientifique. Il n'en est rien. Barbeau est un pur autodidacte. Né à Verdun en 1935, fils d'un commis de banque, François Barbeau descend néanmoins d'une longue lignée d'artisans, tailleurs, couvreurs et même rembourreurs.

C'est à Trois-Rivières, où sa famille a déménagé au début des années 40, que le jeune François a vu sa première pièce de théâtre. Il ne se souvient plus du titre, seulement des souliers des acteurs, qui dépassaient sous le grand rideau. Il se souvient aussi du premier tour de magie de sa mère: la teinture d'une paire de rideaux brûlés par le soleil, qui sont devenus d'un jaune éclatant.

À la fin de l'adolescence, Barbeau a eu le malheur d'avouer à son père qu'il voulait apprendre la couture. Mauvaise idée. Pour calmer la foudre paternelle, il s'est plutôt inscrit en dessin commercial à l'Université Sir George Williams. Reste que c'est dans ses cours d'art qu'il a dessiné ses premiers costumes et qu'il a attrapé le virus d'un métier qui restait à inventer.

Après une formation à l'école Cotnoir Capponi pour apprendre la coupe et le moulage et un stage en Europe dans les grandes maisons de couture, il est revenu à Montréal, armé de ses connaissances, mais surtout d'un grand sens de l'observation, doublé d'un sens maniaque du détail. Il a été l'adjoint de Robert Prévost à l'époque où le TNM présentait encore une pièce en anglais par année. C'est d'ailleurs avec la pièce Long Day's Journey Into Night qu'il a fait ses armes, son patron occupé ailleurs lui ayant refilé la commande.

«La pièce mettait en scène l'actrice américaine Mildred Dunnock. Or, elle passait le troisième acte dans sa loge et tous les soirs, j'allais l'y rejoindre. C'était une source intarissable qui m'a beaucoup appris sur le théâtre», se souvient-il.

Mildred ne sera pas la seule rencontre déterminante que fera Barbeau. Il y aura Paul Buissonneau, puis ces dames du Rideau Vert qui en feront leur indispensable collaborateur, puis une foule d'autres gens. En réalité, le concepteur semble tirer le miel de son inspiration de ses rencontres avec les acteurs, les créateurs et tous les êtres humains aussi curieux et allumés que lui. Serge Denoncourt raconte qu'il ne discute jamais de costumes avec lui. «On parle des personnages et pas juste du comment ils sont habillés, mais surtout du comment ils vivent.» Quant à Ginette Noiseux, elle affirme que François Barbeau lui a appris à être une artiste et à habiller pas seulement le corps d'un personnage, mais son âme.

Il y aurait encore mille choses à dire sur ce magicien qu'est François Barbeau, mais le temps et l'espace manquent. Pour la suite de l'histoire, il faut aller voir l'expo qui lui est consacrée et qui, mieux que les mots, illustre l'ampleur de sa magie et de son talent.

François Barbeau en accéléré

27 juin 1935 : Naissance à Montréal

Années 50 : Étudie le dessin à Sir George Williams, ainsi que la coupe et la couture à l'école Cotnoir Capponi, dans les années 50.

1961 : Un premier contrat au TNM pour la conception de costumes de la pièce Long Day's Journey Into Night d'Eugene O'Neill.

1962 : Devient concepteur de costumes attitré du Rideau Vert et professeur à l'École nationale de théâtre.

Entre 1962 et 2014 : Signe les costumes d'une centaine de pièces, d'une vingtaine de ballets, dont Casse-Noisette, de plusieurs films et de deux spectacles du Cirque du Soleil  - Dralion et Wintuk.

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Expo François Barbeau créateur de costumes, du 25 mai au 7 décembre, au Centre d'exposition de l'UdM, 2490, chemin de la Côte-Sainte-Catherine.