Wajdi Mouawad a introduit le rock dans la tragédie grecque. Voici qu'Anne Millaire puise dans le slam et le jazz pour moderniser L'Illusion de Corneille. Son point d'orgue? Un solo de batterie!

Corneille en slam? Voilà une proposition susceptible de faire sourciller les puristes. Or, c'était bel et bien l'idée de départ de la metteure en scène Anne Millaire. Impressionnée par une pperformance de Grand Corps Malade, elle a imaginé qu'il était possible de mettre de la musique sous les vers de Corneille pour leur donner un vernis de modernité.

L'idée était culottée. Elle l'a mise en oeuvre... après avoir révisé ses objectifs esthétiques. «On s'est rendu compte qu'il n'était pas possible de slammer les vers de Corneille, dit-elle. Il faut la jouer, cette pièce-là. Mais on est parti de l'idée du slam et on a «musicalisé» certains passages.»

L'Illusion (L'Illusion comique, sous son titre officiel) est une pièce fort complexe que Corneille père a écrite et fait jouer en 1636. Elle tourne autour de Pridamant (Carl Poliquin), qui fait appel aux pouvoirs d'un mage (Denis Mercier) pour revoir son fils disparu. Objet théâtral inusité, L'Illusion est une bête difficile à apprivoiser: comique ici, tragique là, à la fois classique et fantastique...

«Corneille joue toutes sortes de tours dans cette pièce. Je pense qu'il était fou quand il l'a écrite, suggère d'ailleurs la metteure en scène. Lui-même l'appelle son «étrange monstre». Ça ne ressemble à rien dans le corpus théâtral.»

Un hommage au théâtre

L'Illusion pousse en effet assez loin l'idée du théâtre dans le théâtre. Anne Millaire et son équipe (dont Judy Jonker aux costumes et Samuel Véro à la composition) saisissent l'occasion pour en faire un hommage au théâtre: diction, jeu, mise en mouvement, costumes, tout a été pensé dans l'idée d'en «faire ressortir la théâtralité de manière contemporaine».

«Ce n'est pas psychologique», glisse-t-elle plusieurs fois pour décrire l'approche volontairement appuyée de certains de ses choix esthétiques. Anne Millaire précise toutefois diriger sans jamais perdre de vue les vers, qui ont été «le moteur de tout» dans cette production.

«On ne peut pas faire fi du vers, comme dans un Molière, parce que ça aurait l'air faux. En plus, le vers de Corneille est difficile à interpréter parce que c'est une langue qui n'existe pas. On ne parlerait pas comme ça, tandis qu'il y a déjà quelque chose de plus naturel chez Molière et même Racine.» Corneille, rappelle-t-elle, a écrit L'Illusion à une époque où la langue française n'avait pas commencé à être fixée par l'Académie française.

Et la musique dans tout ça? Elle s'imposera tout particulièrement dans trois grandes tirades et le cinquième acte. «La musique rentre précisément sur des bouts de répliques», précise d'ailleurs Anne Millaire. Tout un défi pour les comédiens, même si la présence sur scène de six musiciens permettra un minimum de souplesse. «On va essayer de rendre ça organique et naturel. Il ne faut pas que la musique détruise le vers...»

L'Illusion de Corneille, du 11 novembre au 9 décembre au Théâtre Denise-Pelletier.