En entrevue avant la création de sa pièce, qui inaugure la nouvelle Licorne, Fanny Britt a fait ce curieux aveu: «Il y a une partie de moi qui voulait rendre (les personnages) désagréables pour le public.» Et elle a réussi... hélas! Car ce public risque d'avoir de la difficulté à adhérer à sa proposition dramatique. En effet, qui est assez masochiste pour s'asseoir 90 minutes dans une salle de théâtre pour détester des personnages?

Chaque jour met en scène un jeune couple qui n'a rien d'héroïque. Joe et Lucie se méprisent et s'ennuient terriblement ensemble. Leur union repose sur une seule et unique chose: une forte attirance sexuelle. Tout le reste (les valeurs, les intérêts, la sensibilité) les éloigne l'un de l'autre.

Un soir, Lucie doit passer chez sa patronne (une coiffeuse très parvenue, interprétée par Marie Tifo) afin de nourrir le chat durant son absence. Au lieu de partir après, le couple décide de squatter le chic appartement. Et Joe va connaître une révélation provoquée par un iPod qu'il aurait «trouvé» - finalement, il avoue l'avoir volé à «un ostie de fif» dans le métro. En écoutant la musique du «fif», Joe se retrouve en état d'apesanteur: il lévite littéralement de la scène, accroché à l'étagère du salon! (On aurait aimé savoir quelle musique a le pouvoir de faire léviter ainsi un homme... Mais on ne l'entend qu'en sourdine.)

Jugements de valeur

Chaque jour se veut une «métaphore de la société québécoise». Ce Québec qui a perdu son âme, noyé dans le confort matériel et qui se pâme pour Le Banquier et les téléréalités. Or, cette fable qui veut exorciser ces démons qui attisent la violence enfouie en chacun de nous contient plus de jugements de valeur que de génie littéraire. On se demande pourquoi l'auteure s'intéresse à ces gens ignorants, homophobes, superficiels. Pourquoi est-elle fascinée par cet univers de violence et de mépris ordinaires? Cela aurait sans doute une valeur si elle était capable de transcender et de magnifier la peinture de ses contemporains. Hélas, elle y échoue.

Ce n'est pas en juxtaposant un «courant fantastique» (qui ne marche pas du tout) ou en ajoutant un personnage (Carole est apparue en processus d'écriture) qu'on «théâtralise» une pièce. C'est en insufflant de l'humanité aux personnages qu'on peut espérer toucher à l'universel. Ici, les trois personnages en sont dépourvus.

Denis Bernard a donné du rythme et de la fluidité entre les scènes. Sa mise en scène est plus intéressante que ce texte bourré de clichés. Anne-Élisabeth Bossé et Vincent-Guillaume Otis forment un couple dysfonctionnel assez convaincant; toutefois, il manque une chimie entre eux pour nous faire croire à leur attirance animale. Marie Tifo compose parfaitement le vernis de la coiffeuse chic qui masque sa solitude et son insécurité. Mais une actrice, aussi géniale soit-elle, ne peut pas jouer ce qui n'est pas dans le texte.

On regarde cette production avec le drôle de sentiment de ne voir que la surface des choses.

Chaque jour à La Licorne jusqu'au 19 novembre.