Ces jours-ci, Jeannot Painchaud est un homme heureux.

La semaine dernière, il recevait à Paris le prix Samuel de Champlain, décerné à deux personnalités de deux pays exerçant dans le même domaine. L'autre lauréat était Alain Pacherie, patron français du Festival du cirque de demain. «C'est une belle reconnaissance, dit Painchaud, fondateur et codirecteur du Cirque Éloize. Il y a 20 ans, le cirque était considéré comme un divertissement, au mieux un art mineur.»

L'autre raison, c'est que, malgré la crise qui a déchiré la compagnie il y a deux ans, le Cirque Éloize est en train de terminer l'année 2011 en apothéose. Après avoir triomphé l'été dernier à Montréal, iD, le nouveau spectacle, se retrouvait cette semaine à Canterbury, au milieu d'une tournée britannique d'une vingtaine de dates - avant de déménager à Genève pour huit représentations, puis de tourner dans des villes françaises, pour finir dans l'un des plus beaux théâtres de Paris, au Palais de Chaillot, du 24 décembre 2011 au 20 janvier 2012.

À peu près en même temps, Rain, l'oeuvre phare de l'époque Finzi Pasca, prendra l'affiche le 8 décembre à Montréal pour quatre semaines, après avoir été présentée pas moins de 1000 fois dans le monde.

Un cycle se termine donc. D'autant plus que Nebbia, la dernière mise en scène de Finzi Pasca, a dû s'arrêter prématurément après quelque 400 représentations, victime d'une guerre fratricide.

Un conflit qui a laissé quelques traces. Jeannot Painchaud sursaute lorsqu'il entend Finzi Pasca dire que ses fidèles et lui étaient «le coeur et l'âme» de la compagnie. «Daniele a eu un apport majeur dans l'histoire d'Éloize, dit-il dans l'Eurostar qui nous mène de Paris à Londres. Mais s'il a mis en scène trois spectacles, il y en a eu quatre autres. Éloize a connu le succès public dès 1995 aux États-Unis.»

Salves d'applaudissements

En tout cas, pour le commun des mortels et les professionnels, la magie d'Éloize continue d'opérer. Jeudi matin, à Canterbury, parmi la douzaine de journalistes suisses emmenés en voyage de presse, c'est tout juste si on se souvenait de l'affaire Finzi Pasca, pourtant suisse. En vérité, on ne s'intéressait vraiment qu'aux faits et gestes de la jeune Conto Emi Vauthey, qui fait un numéro sidérant de contorsionniste et qui est également du pays.

Mercredi soir, première de cinq représentations à Canterbury, bijou médiéval dominé par la célèbre cathédrale. Triomphe prévisible, mais triomphe tout de même au Théâtre Marlowe, fraîchement rénové avec ses 1400 places. Presque toutes les scènes importantes sont saluées par des salves d'applaudissements, de l'incroyable numéro de vélocross de Thibault Philippe à la scène finale de trampoline en passant par des numéros plus intimistes ou poétiques.

L'affaire avait pourtant commencé dans la douleur. «Dans les tournées, il y a forcément des problèmes et des imprévus, dit Jeannot Painchaud. Mais, cette fois, on a eu droit à tout en même temps.»

Premier contretemps: le théâtre, ouvert quelques jours plus tôt, est si nouveau que la générale de mardi soir n'a pu avoir lieu, en raison de problèmes techniques. Or, il y a deux nouveaux artistes dans la distribution. Deuxième: un artiste franco-laotien établi depuis 15 ans en France est refoulé par l'immigration britannique. Troisième: il y a un problème majeur avec le mât chinois, et on attend une nouvelle et indispensable gaine... qui arrivera, mais défectueuse. Mercredi, à deux heures de la première, les répétitions de certains numéros continuent. Jeannot Painchaud dirige depuis la salle, le micro à la main. «J'ai l'air tranquille? Je ne le suis pas du tout», dit-il avec un large sourire.

De fait, le soir, il a pris note de tous les petits accrocs. Toujours pas de visa pour le Franco-Laotien. Problème persistant avec le mât chinois. Et, pour couronner le tout, Thibault Philippe souffre d'une légère blessure, survenue la semaine précédente. Le public n'y voit que du feu et l'ovationne, mais il faut supprimer un intermède, ce qui provoque une brève coupure dans le spectacle. Au final, Painchaud est soulagé d'avoir limité la casse: l'accueil du public est délirant. Mais lui doit repartir le lendemain et laisser les problèmes à un adjoint.

Toujours en mouvement

De fait, la machine Éloize est en mouvement perpétuel. Mercredi soir, il fallait s'occuper d'une équipe de la BBC venue en prévision des représentations prochaines à Belfast. Jeudi matin, Painchaud, après sa rencontre avec les journalistes suisses, reprenait l'avion pour Montréal avant de repartir 10 jours en Russie (où joue Rain) et en Allemagne, où il a des rendez-vous concernant la prochaine production, qui débutera l'été prochain. Son thème: top secret. Tout ce qu'il y a de sûr, c'est que son metteur en scène sera ukrainien.

«La situation d'Éloize est assez simple, résume son directeur. Avec 30 salariés permanents à Montréal, on doit avoir deux spectacles qui tournent en simultané, pour un total de 350 représentations par année. Dans ma tête, le huitième est déjà fait, et j'en suis à concevoir le neuvième...»

La petite entreprise du Madelinot ne connaît pas vraiment la crise.