Deux pièces de Goldoni seront présentées à Montréal au cours des prochaines semaines: Il Campiello, montée en français, et Trilogia della villeggiatura venue directement d'Italie. Une rare occasion de voir deux visages du dramaturge qui a réformé le théâtre italien.

Il y a Eduardo de Filippo, il y a Luigi Pirandello, mais c'est Carlo Goldoni qui demeure l'emblème du théâtre italien dans le monde. «C'est parce qu'il représente bien l'esprit italien dans les choses belles... et moins belles», estime l'acteur et metteur en scène napolitain Toni Servillo, qui a dirigé la production de Trilogia della villeggiatura à l'affiche à compter de mercredi au Théâtre Maisonneuve.

Mort dans la pauvreté à Paris en 1793, après y avoir notamment enseigné l'italien aux filles de Louis XV, Goldoni demeure associé à une réforme du théâtre italien, qu'il a cherché à extirper de la commedia dell'arte: il a éliminé les masques, sans s'affranchir complètement des archétypes qu'ils représentaient, et imposé une langue parlée.

«Goldoni, ce n'est pas un auteur, mais deux, trois ou même quatre auteurs, précise toutefois le metteur en scène Serge Denoncourt. Il Campiello est aussi différent de La Trilogie de la villégiature qu'un Tchekhov peut l'être de Shakespeare.» La «réforme» ne s'est pas faite du jour au lendemain, mais au fil d'une longue vie littéraire curieusement amorcée par l'échec d'une tragédie... dont il a brûlé le texte.

Loin des belles robes

Pour lancer son cycle italien, le Théâtre de l'Opsis renoue avec Il Campiello, pièce que Serge Denoncourt a montée en 1988. Elle montre la vie autour d'une place d'un quartier populaire: des filles à marier et deux prétendants dont les plans seront bouleversés par l'arrivée d'un jeune bourgeois, auquel les mères feront une cour empressée afin qu'il épouse leur fille.

Serge Denoncourt, qui trouve que Goldoni s'est beaucoup embourgeoisé au fil des ans, n'a aucune intention de céder a la vision «jolie» qu'on peut avoir de ce théâtre. «Avec Il Campiello, on est dans le très cru et le très sale», dit-il, soulignant que le texte est plein de sous-entendus vulgaires et que la pièce elle-même serait presque «l'équivalent du burlesque québécois».

«Goldoni écrivait des pièces très drôles, mais peignait surtout un portrait épouvantable de ce peuple qui était prêt à arnaquer n'importe qui pour s'en sortir, pour avoir un repas gratuit ou pour marier ses filles, dit-il. Ces mères-là deviennent presque des maquerelles et les garçons sont d'une violence par rapport aux filles. On est dans une Venise populaire loin des belles robes.»

Version classique

Servillo, lui, travaille une matière fort différente. Goldoni se montre plus affranchi de la commedia dell'arte dans sa Trilogie de la villégiature (1761), série de pièces dans laquelle il raille la vanité des bourgeois vénitiens, prêts à tout - même à se ruiner -pour imiter le train de vie des nantis. Parmi eux, Giacinta, jeune femme courtisée par deux hommes, tiraillée entre raison et passion.

«C'est un univers où il est plus important d'être là que d'être tout court», dit Toni Servillo en français avant de prononcer quelques mots en italien qui, on le devine, opposent «présence» et «essence». La Trilogie montre, selon lui, une société dont l'élite se trouve dans une impasse. «Incapable de proposer un projet futur, elle réclame un bonheur à bon marché», précise-t-il.

Trilogia della villeggiatura (en italien avec surtitres français) est pour lui une sorte de «roman théâtral». «Ces trois pièces donnent au public la possibilité de voir comment les protagonistes changent, fait-il valoir. Surtout Giacinta.»

Toni Servillo n'a pas cherché à moderniser outre mesure sa Trilogie, déduit-on des capsules vidéos visionnées sur l'internet. Son approche est très influencée par celle développée par Strehler, fondateur du Piccolo Teatro (voir autre texte), il y a 40 ans. «C'est magnifique, mais très respectueux de la tradition du Piccolo Teatro, dit d'ailleurs Serge Denoncourt, qui a vu la production. C'est presque un hommage.»

«Je n'aime pas beaucoup que le simulacre de la modernité soit mis en scène pour dire qu'un texte est moderne, explique Toni Servillo. Je crois que s'il y a une modernité dans un texte, elle est plus claire quand la mise en scène est simple, plus classique. Sans narcissisme du metteur en scène.»

Trilogia della villeggiatura, du 22 au 26 septembre au Théâtre Maisonneuve. Il Campiello, du 5 au 30 octobre, à la Cinquième salle de la PDA.