Près de 20 ans après La maison suspendue, le dramaturge ramène son alter ego Jean-Marc sur les planches dans Fragments de mensonges inutiles. Il est plus jeune et plus combatif qu'on l'a connu dans cette histoire d'amour à cheval entre deux époques qui force à se demander si l'homosexualité est vraiment mieux acceptée que dans le passé.

Deux adolescents amoureux. Deux familles confrontées à l'homosexualité d'un fils, l'une en 1958, l'autre en 2008. Deux drames vécus en parallèle, mais liés par un pont de mots et cet art du leurre qu'est le théâtre. Fragments de mensonges inutiles est, dans le fond comme dans la forme, un pur produit de Michel Tremblay.

 

Le dramaturge s'intéresse ici à Jean-Marc (Olivier Morin), qui vit en 1958, et à Manu (Gabriel Lessard), enfant-roi des années 2000. L'un est convoqué par l'aumônier (Roger LaRue), l'autre fait face à un directeur de conscience plus actuel, un psy (Gabriel Sabourin). L'objectif de chaque interrogateur? Pousser l'adolescent assis devant lui à avouer son homosexualité. Jean-Marc et Manu se braquent, ce qui force l'intervention de parents aimants, mais pour la plupart mal à l'aise.

«C'est une pièce qui aurait pu s'appeler Plus ça change, plus c'est pareil, suggère Michel Tremblay. La société québécoise a évolué, bien sûr, mais ce n'est pas parce qu'on vit dans une société qui évolue que, individuellement, les gens vont suivre parfaitement ce qu'elle devient.»

Parler d'homosexualité n'est plus tabou au Québec. Michel Tremblay, à travers ses oeuvres, a lui-même contribué à ce changement de mentalité. De nos jours, on prône la tolérance. Or, entre cette tolérance dictée par la société et l'acceptation pure et simple, il y a un pas que tous ne franchissent pas avec la même légèreté.

Michel Tremblay, qui répète que le théâtre existe pour poser des questions, a choisi de creuser ce sujet lorsqu'il a appris que le nombre de suicides chez les ados gais n'a pas vraiment baissé depuis que la société se dit plus ouverte. «Ça m'a beaucoup étonné, admet-il. Ça m'a fait réfléchir. Il devrait pourtant y avoir plus de communication puisque c'est accepté.»

Distanciation, façon Tremblay

Pour étoffer son propos, il juxtapose non pas deux mondes, mais deux époques: les années 50 et les années 2000. Les voix des pères et des mères des deux garçons se croisent à un demi-siècle d'intervalle, de même que Jean-Marc et Manu semblent entretenir une relation amoureuse à travers le temps. Un procédé de distanciation que Michel Tremblay a abondamment utilisé dans son oeuvre et qui sert ici à comparer non seulement les réactions des parents, mais aussi des deux adolescents.

«J'ai la prétention de penser que j'ai inventé cette façon-là de faire du théâtre. C'est mon invention, ça m'appartient, affirme-t-il, l'air de dire qu'il serait bien fou de se passer d'un tel outil dramatique. J'aime beaucoup jouer avec le temps et d'une pièce à l'autre, j'essaie toujours de m'en servir d'une façon différente.»

La particularité de Fragments de mensonges inutiles, c'est que les personnages des ados se fondent parfois l'un dans l'autre (Manu répond aux questions de l'aumônier et Jean-Marc à celles du psy) et discutent parfois ensemble, à une époque indéterminée. Ce jeu de voix croisées a, semble-t-il, donné du fil à retordre au metteur en scène Serge Denoncourt.

«Il a beaucoup travaillé la musicalité, dit Michel Tremblay. Avant de travailler sur les personnages et l'interprétation, il a beaucoup travaillé le rythme.» Puisque les acteurs demeurent sur les planches pendant toute la durée de la pièce et que les scènes sont coiffées de termes musicaux (quatuor, solo, duo, etc.), ce n'est pas tant d'un bon metteur en scène que d'un bon chef d'orchestre que ces voix avaient besoin.

Parler de la réalité en se tenant loin du réel, c'est un effort constant chez Michel Tremblay. «J'essaie que le public sache toujours qu'il est au théâtre, dit-il. Quand on me dit que je suis un auteur réaliste, ça m'insulte, parce que je fais tout depuis Les Belles-Soeurs pour que les spectateurs sachent qu'ils sont là pour jouer un rôle, pour se faire croire que ce qu'ils voient est vrai, alors qu'ils savent bien que ce n'est pas le cas.»

Fragments de mensonges inutiles, du 9 septembre au 17 octobre, chez Duceppe.