En France, l'élection de Nicolas Sarkozy a décomplexé les artistes de droite. Aux États-Unis, la plupart des artistes républicains demeurent par contre bien cachés dans leur placard. Et au Québec, où le clivage droite-gauche n'est pas aussi fort? Existe-t-il d'autres opinions «inavouables» pour les artistes? À quelques heures de la Fête du Canada, qui aura lieu mercredi, quelques écorchés se prononcent.

Sébastien Dhavernas qualifie de «coming out» sa candidature sous la bannière libérale, l'automne dernier, dans le comté d'Outremont.

«Certains artistes m'ont dit qu'ils me comprenaient, que je faisais bien. Mais d'autres m'ont carrément demandé si j'étais en dépression ou si j'avais été victime d'une insolation!» confie le comédien-politicien, qui a résilié son adhésion au Parti québécois en 1996, après l'échec du référendum.

 

Avant lui, Céline Dion, Gregory Charles, Plume Latraverse et Luck Mervil se sont fait reprocher de chanter à la Fête du Canada.

Si Dhavernas, ancien administrateur de l'Union des artistes et mieux connu pour ses rôles dans Le temps d'une paix, Chop Suey, Urgence et Watatatow, a choisi le rouge fédéral comme couleur d'allégeance, c'est parce qu'il considère que c'est la teinte qui va le mieux à sa communauté artistique.

«Les artistes ont toujours été bien servis par les libéraux. Le Québec reçoit plus que sa quote-part de Patrimoine Canada, ce qui est un signe que le Canada a compris que nous étions une forte composante pour le pays», estime ce fédéraliste avoué, qui a décidé de se lancer en politique à la suite des compressions du Parti conservateur en culture.

Le comédien Pierre Gendron, après avoir prêté seulement sa voix aux publicités du Parti libéral fédéral, a accepté d'afficher ouvertement ses couleurs pendant la campagne de l'automne 2008. Une position qui, reconnaît-il, ne reflète pas l'opinion générale de sa communauté.

«Si certains ont perçu mon geste de façon négative, peu d'artistes me l'ont exprimé ouvertement. Mais beaucoup ont salué mon courage de m'avouer fédéraliste», relate celui qui s'est glissé dans la peau de Pierre Elliott Trudeau, dans la série télévisée René. Or, Gendron refuse de nommer des artistes qui lui ont ouvertement signifié leur appui.

L'argent et le vote artistique

Pierre Gendron estime que, de nos jours, les causes que les artistes sont prêts à défendre ne sont plus les mêmes. S'ils se mobilisent pour décrier les réductions de subventions, les artistes ne sortent plus dans la rue avec des slogans souverainistes ou pour défendre la survie du français.

«Chez les artistes, les discussions tournent surtout autour de l'argent», note le comédien qui est convaincu que les libéraux sont mieux outillés que le Bloc québécois pour défendre les intérêts des artistes au fédéral.

Après avoir participé à la Fête du Canada, fait du porte-à-porte en compagnie du bloquiste Maka Kotto, offert son soutien à André Boisclair lors de la course à la direction du PQ, le chanteur et animateur Luck Mervil s'est récemment rangé du côté du Québec solidaire de Françoise David.

Pour avoir passé d'un camp à l'autre, on lui a reproché son côté «girouette».

Selon Mervil, il n'y a pas d'opinion politique qui soit inavouable pour un artiste. Encore faut-il avoir les arguments pour défendre ses allégeances. «Un artiste est avant tout un citoyen, qui a des parents, des enfants, qui deviendra vieux un jour, qui est préoccupé par la santé, l'éducation», clame celui qui se dit déçu du cynisme qui a gagné ses compatriotes.

Plusieurs artistes continuent d'afficher des idées gauchisantes, mais certains ne sont pas convaincus que la souveraineté leur permettra de les concrétiser. En avril 2006, Michel Tremblay a exprimé son ambivalence en disant: «Il y a beaucoup de gens et d'artistes qui ont besoin de se faire reconvaincre de cette idée-là.»

Le bleu du PQ domine encore

Selon Jean-François Lisée, directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal, le bleu du PQ reste la couleur dominante chez les artistes. À cet égard, Lisée cite des artistes qui n'ont pas hésité à prendre la parole en faveur de l'indépendance du Québec: Emmanuel Bilodeau, les Cowboys fringants, La Chicane, Les Colocs.

«L'indépendance incarne le départ, le voyage. Il est plus difficile de chanter le fédéralisme, le statu quo, ou la joie d'être minoritaire dans un grand pays...», analyse Lisée.

Contrairement à la France ou aux États-Unis, les artistes québécois qui pensent à droite le font dans le silence. Et ceux qui penchent à gauche - Richard Desjardins, Dan Bigras, Raymond Lévesque, Judi Richards, Paul Ahmarani, Christian Vanasse... - vont grossir les rangs de Québec solidaire.

Quant à être présent sur une scène de la Saint-Jean ou de la Fête du Canada, cela ne donne plus aucune indication sur le choix qu'un artiste peut faire dans l'isoloir. Ou peut-être devrions-nous dire dans le placard...