«On voit rien pantoute d'en haut», annonce Nana, alias Rita Lafontaine, dans les premières minutes du monologue de 80 minutes, que Michel Tremblay a créé pour elle.

Hommage à sa mère Rhéauna Rathier, morte il y a 45 ans, fleur au Rideau Vert qui a présenté Les belles-soeurs en août 1968, retour sur son oeuvre où les éléments biographiques font corps avec la fiction...

Le paradis à la fin de vos jours<'/i> est un travail rétrospectif où, de manière à la fois comique et touchante, Tremblay se distancie de son théâtre pour le situer dans son contexte social et historique.

Au paradis, Nana est entourée de chaises placées au sol et accrochées au mur, qui sont identifiées par les noms de ses proches (Albertine, Amanda, Gabriel, Victoire...) et aussi, des satellites qui ont gravité autour du Rideau Vert et de la dramaturgie de Tremblay. Auprès de Nana montée au ciel, siègent Gisèle Schmidt, Denise Pelletier, Anne-Marie Ducharme et autres disparus, certains illustres, certains inconnus.

Nana, qui se réincarne dans les traits, la robe à fleurs et le tablier de l'époustouflante Rita Lafontaine, qui prend ici l'allure d'une « stand-up» comique. Pieds nus, les mains sur les hanches, elle s'adresse directement au public à qui elle confie ses frustrations célestes et relate ses souvenirs drôles et tragiques. Quarante-cinq ans plus tard, la pauvre Nana n'a toujours pas vu l'ombre de Dieu, elle qui a fondé son existence sur l'espoir de la paix éternelle au paradis. Pire: on l'a logée auprès de ses proches, elle qui aurait bien aimé faire connaissance avec des Africains, des Asiatiques, et « d'autres races «.

Il y a beaucoup d'humour dans le récit de cette dame bien de son époque, qui relève les incohérences des croyances et superstitions inculquées par la religion catholique. « Rire a tellement été important pour moi «, rappelle la matriarche qui a légué à son fils son don de conteuse.

Un talent de Tremblay bien mis en valeur dans cette pièce, qui reprend certaines anecdotes familières à ceux qui ont frayé avec l'univers de Tremblay. L'épisode de l'ange de Noël en carton, qui déclenche un scandale (mortel) dans la famille. La mère de Nana morte d'une indigestion de blé d'Inde. La belle-soeur qui se prend le bras dans le tordeur de la machine à laver.

Michel Tremblay y va aussi de clins d'oeils autoréférentiels, en décrivant la fierté que sa mère ressent, lorsqu'un informateur lui apprend que son plus jeune n'a finalement pas raté sa vie en devenant écrivain. Elle glousse de plaisir lorsqu'elle apprend qu'il a été joué partout dans le monde par les comédiens qu'elle aimait tant...

Une grande dose de tendresse émane de ce monologue livré avec coeur par Rita Lafontaine. On retrouve l'amour de Tremblay pour ces femmes fortes, fières dans l'adversité. Mais si Nana n'a pas oublié ses souffrances, les injustices, la pauvreté, la mort de ses enfants, c'est le souvenir d'une femme aimante et brillante qui triomphe. Au passage, Tremblay nous rappelle que ceux qu'on a aimés survivent dans le souvenir qu'on a d'eux, dans les histoires qu'on se raconte pour entretenir les liens d'affection.

Oui, un hommage aux Belles-soeurs, en souvenir de Denise Proulx, Luce Guilbault, Marthe Choquette et les autres. Mais surtout un regard empreint de tendresse d'un auteur vers ceux qui ont nourri son imaginaire. Louée soit Nana, au plus haut des cieux...

Le paradis à la fin de vos jours, une pièce de Michel Tremblay, dans une mise en scène de Frédéric Blanchette, avec Rita Lafontaine, jusqu'au 6 septembre au Théâtre du Rideau Vert.