Ce que James Taylor a brillamment réussi hier soir, au Centre Bell, n'est pas donné à tout le monde: créer une ambiance décontractée, établir un contact direct avec chaque spectateur et faire une musique pétante de santé à l'aide d'un orchestre - avec une telle équipe, on ne peut plus dire un groupe - soudé et explosif.

Il y a longtemps qu'on avait vu le grand sec du Massachusetts - 11 ans presque jour pour jour. Mais on ne perdait rien pour attendre parce que, à son groupe de base et aux quatre chanteurs dont il s'entoure habituellement, il a greffé cette année deux cuivres: le trompettiste Walt Fowler et le saxophoniste vedette Lou Marini, ci-devant des Blues Brothers.

Avec un batteur de premier plan comme Steve Gadd, un guitariste d'expérience comme Michael Landau, qui peut être un accompagnateur discret puis vous servir l'instant d'après un solo torride pendant Steamroller Blues, Taylor était équipé pour veiller tard. C'est exactement ce qu'il a fait en nous servant 27 chansons en plus de deux heures, entrecoupées d'un entracte.

La différence avec les tournées précédentes, c'est que celle de 2008 est axée sur le nouvel album de JT, prévu à l'automne, qui contiendra 12 chansons empruntées à d'autres artistes (des covers, dans le jargon du métier). Il nous en a chanté un peu moins d'une dizaine, hier, et c'était très convaincant, pour deux raisons.

D'abord, Taylor a toujours trippé musique noire, rhythm and blues, soul et doo-wop. Alors quand il reprend It's Growing, des Temptations, Get a Job, des Silhouettes, ou des choses plus funky comme In The Midnight Hour, de Wilson Pickett, et Knock On Wood, d'Eddie Floyd, on sent le plaisir réel qu'il a à plonger jusqu'au cou dans cette musique organique.

Ensuite, comme, depuis toujours, James Taylor a chanté des chansons que d'autres avaient créées, on en vient à les considérer comme siennes. Je pense à Handy Man, à How Sweet It Is ou même à l'immortelle You've Got a Friend, qui ont fait le bonheur des 8000 spectateurs venus l'applaudir hier soir.

En plus, on a eu droit à Fire and Rain (qu'il ne chante pas partout), à Sweet Baby James, à une Steamroller Blues ex-tra-or-di-nai-re de vitalité avec un Taylor clownesque («un peu excessif, peut-être, quelle honte!» a dit Taylor en français alors que tout le monde était visiblement soufflé), mais aussi à Country Road et au doublé Shower The People/Your Smiling Face avant les rappels. Personne n'a eu l'idée de lui reprocher ses nombreux emprunts.

Voilà déjà un beau programme pour une soirée de fête réussie. Ajoutez-y James Taylor et on obtient un concert mémorable. Taylor a un charisme fou, une personnalité qui séduit instantanément par sa simplicité, son humour et son sens de la répartie. Rares sont ceux qui savent aussi bien jouer avec le public. Ajoutons à cela et un sourire irrésistible, dont il n'était pas conscient jusqu'à tout récemment.

En plus, le monsieur a de la classe à revendre. Hier, il a souvent parlé au public dans un français plus que convenable, quitte à chercher ses mots de temps en temps: «Comment dit-on nephew en français?» Il fallait l'entendre raconter, toujours en français, comment, au Troubadour de Los Angeles, Carole King lui a donné You've Got a Friend sans qu'il se doute qu'il allait devoir la chanter tous les soirs depuis. Pas mal, pour un homme de 60 ans qui a appris notre langue alors qu'il fréquentait une colonie de vacances.

La classe, c'est aussi répéter Suzanne de Leonard Cohen l'après-midi même et la chanter pour la première fois sur scène comme un cadeau au public montréalais. Un cadeau, mais aussi un au revoir, en espérant qu'il ne nous fasse pas patienter 11 autres années pour nous livrer à domicile deux heures de bonheur qu'on n'est pas près d'oublier.