Si le réalisateur jamaïcain Osbourne «King Tubby» Ruddock est reconnu pour avoir inventé le dub à la fin des années 60, son confrère Lee "Scratch" Perry, lui, l'a élevé au rang d'oeuvre d'art. Le chanteur, compositeur, arrangeur et génie de la réalisation s'amène à Montréal pour une rare visite.

Si le réalisateur jamaïcain Osbourne «King Tubby» Ruddock est reconnu pour avoir inventé le dub à la fin des années 60, son confrère Lee "Scratch" Perry, lui, l'a élevé au rang d'oeuvre d'art. Le chanteur, compositeur, arrangeur et génie de la réalisation s'amène à Montréal pour une rare visite.

Avec le réalisateur Joe Gibbs parti en février dernier, Clement «Coxsone» Dudd (patron de Studio One) disparu il y a quatre ans, King Tubby abattu en revenant son studio en 1989, Perry est l'une des dernières légendes vivantes de la production-réalisation du reggae jamaïcain. À moins qu'il ait déjà trépassé et qu'il soit revenu d'entre les morts pour à nouveau déranger les gens normaux?

Car Lee Perry, le grand «Upsetter» - le Dérangeur, aussi le nom de son groupe de studio dans les années 70 -, est un être unique, objet de légendes aussi persistantes que son oeuvre est captivante. Un savant fou aux discours généralement tordus, volontairement tordu, devrions-nous dire, puisque l'homme a toujours entretenu le mythe de l'artiste mal compris et très cinglé.

Exemple, extrait de notre longue discussion, également partagée entre les commentaires très lucides, les souvenirs captivants et ces délires: «Je crois au soleil, je crois à la lune, aux étoiles. Imagine mon esprit qui sort de mon corps et qui vole, comme Superman. Je suis une machine. Je vois la musique comme ça, et comme je vois la vie», dit-il sans prendre un souffle, pour ensuite échapper un grand fou rire

À 72 ans, après avoir constitué une colossale discographie (une bonne cinquantaine d'albums à son nom, sans compter ceux qu'il a produits pour d'autres), Perry ne s'éloigne jamais trop de la scène et lance au courant de l'été l'album Repentance, réalisé par une autre bibitte pop, Andrew W.K.

«Travailler avec des ordinateurs, c'est trop lent pour moi, mais je m'y fais, dit-il. Bien sûr que je préfère les anciennes méthodes. On peut faire pas mal plus de choses avec du ruban magnétique et une table de mixage. C'était beaucoup plus instinctif, beaucoup plus amusant, et vivant».

Techniques audacieuses

King Tubby avait son style de production, reconnaissable entre tous, ces «cymbales volantes», entre autres trucs. Perry, lui, a ouvert les horizons du reggae en créant des techniques d'enregistrement franchement audacieuses.

Ses réalisations sont parsemées de sons hétéroclites (cloches, sirènes, bruits de bovins, de poules), de prises de son radicalement nouvelles pour l'époque, et tout ça était mixé en spectacle par le maître, prostré sur les boutons d'une table de mixage quatre pistes qui ne payait pas de mine. Le proverbe «La nécessité est la mère de l'invention» n'a jamais été aussi bien appliqué qu'à la pop jamaïcaine des années Perry.

Après avoir travaillé auprès des Coxsone et Gibbs, Perry a fondé en 1973 son propre studio, le Black Ark, où la crème des musiciens a défilé. Ses prouesses techniques et son imagination fertile ont fait des enregistrements de Max Romeo (War Ina Babylon, 1976), Junior Murvin (Police and Thieves, 1977, dont la chanson-titre avait été reprise par The Clash) et, surtout, le duo vocal The Congos, classique absolu du roots reggae.

«Je suis toujours content lorsque quelqu'un me dit qu'il aime l'album Heart of the Congos, répond-il. J'ai mis tellement d'énergie dans ce disque!» se rappelle-t-il. Paru en 1977, Heart of the Congos est le meilleur témoignage de la grandeur de l'ère du studio Black Ark, laquelle s'est abruptement terminée en 1983 lorsque Perry y a mis le feu, si on en croit la légende (le spécialiste David Katz, dans sa biographie de Perry, évoque plutôt un incendie d'origine accidentelle).

La légende vivante promet d'interpréter ce soir au Métropolis ses chansons récentes ainsi que celles qu'il a interprétées au fil des années, People Funny Boy, Chicken Scratch, Feel Like Jumping, Return of Django

«De la musique pour les jungle fans, de la part d'un jungle man qui a un jungle plan, ce sera cosmologique. Je viens tout droit de la jungle, des arbres, des abeilles, de tout.»

Lee «Scratch» Perry, ce soir, 20h30, au Métropolis