L'improvisation ne vient pas exclusivement du jazz. Demain à la salle Bourgie, le Concours musical international de Montréal présente une soirée d'improvisation impliquant deux pianistes de formation classique, les Français Jean-François Zygel et Bruno Fontaine.

Tour à tour, ils créeront en temps réel la part pianistique de l'oeuvre Fantaisie pour piano-fantôme et orchestre de notre François Dompierre, et dont la partie orchestrale sera exécutée par l'ensemble I Musici de Montréal. Chacun des solistes improvisera donc sa partie et dirigera l'orchestre du piano.

D'où cette entrevue avec Jean-François Zygel qui, en plus de faire carrière en tant qu'improvisateur sur les scènes du monde, s'avère un excellent communicateur doublé d'un pédagogue chevronné (professeur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris).

Au fil des siècles, l'improvisation a été délaissée par la musique classique occidentale. Pourquoi cet abandon, alors que les autres musiques classiques du monde (indienne, arabe, persane, etc.) n'ont jamais exclu la pratique de l'impro?

Tout simplement parce qu'au cours du temps, on a demandé aux musiciens classiques d'être en quelque sorte la mémoire d'un répertoire de plus en plus riche, de plus en plus varié. Alors que Mozart et Beethoven n'interprétaient en concert que leurs propres compositions, on demande aujourd'hui à un pianiste interprète de posséder un répertoire immense, allant de Bach et Rameau aux compositeurs d'aujourd'hui. Être capable de jouer correctement (et parfois même par coeur!) ces centaines de sonates, de trios et de concertos laisse peu de temps au travail de l'improvisation, qui comporte d'autres exigences et impose une pratique relativement assidue. De plus, improviser demande d'avoir au préalable étudié l'harmonie et la composition, ce qui est loin d'être le cas de la plupart des pianistes.

Pourquoi ramener aujourd'hui l'improvisation dans cette pratique occidentale?

C'est une question très personnelle. En fait, j'improvise depuis l'âge de 7 ans, depuis que je fais de la musique. Un jour à l'école, la maîtresse nous avait projeté à l'école primaire un film qui s'intitulait Mozart l'enfant prodige. On y voyait un enfant blond et bouclé, haut comme trois pommes, qui improvisait à la demande sous les «oh!» et les «ah!» de jolies marquises et d'élégantes duchesses. Le soir, j'ai déclaré solennellement à mes parents que plus tard, comme métier, je ferais Mozart!

Comment votre formation scolaire vous a-t-elle accompagné dans votre quête de l'improvisation pianistique?

Lorsque, jeune homme, j'ai fait mes études au Conservatoire, j'ai comme tout pianiste travaillé et joué en concert un certain nombre d'oeuvres, y compris dans des festivals importants ici en France. Mais j'ai vite compris que je préférais inventer ma propre musique et me consacrer exclusivement à l'improvisation et à la composition.

Quel est le lien entre les oeuvres que vous composez et votre travail d'improvisateur en concert ou en studio?

Il y a un rapport entre les deux, c'est sûr! Mais il y a aussi des manières de concevoir la polyphonie et l'harmonie que je n'utilise qu'en composant, jamais en improvisant. Et d'autre part, quand j'improvise, je mêle parfois à mon univers l'influence du jazz et des musiques du monde, ce que je fais beaucoup plus rarement lorsque je compose. Cela étant, j'ai d'abord enseigné l'écriture au Conservatoire de Paris (CNSMDP), avant de fonder voici 15 ans la classe d'improvisation au piano!

Comment envisagez-vous cette création en tant que soliste pour l'oeuvre de François Dompierre?

En dehors du fait que j'aime beaucoup la musique de François Dompierre, j'ai moi-même écrit un concerto pour piano improvisé et orchestre il y a deux ans, que j'ai intitulé Concerto ouvert. Je l'ai déjà joué une dizaine de fois, et je pense que ce principe de mélanger dans une même oeuvre l'improvisation et l'écrit plaît beaucoup au public.

Quels sont vos improvisateurs préférés au piano ? Peut-on parler d'influences majeures?

Je pourrais bien sûr vous répondre Art Tatum ou Keith Jarrett pour citer des noms connus, mais à la vérité, je ne pense pas que l'on puisse considérer l'improvisation classique comme un domaine séparé de la composition. Même pour improviser, je me nourris plus de Bartók, de Prokofiev, de Messiaen, de Chostakovitch, de Bach ou d'Hindemith que de l'écoute de mes collègues improvisateurs... (Merci de ne pas leur répéter!)

Vous aimez aussi les dialogues improvisés avec Chilly Gonzales et Yaron Herman, pour ne nommer que ceux-là. Quels sont selon vous vos plus réussis en carrière?

En dehors des duos à deux pianos, je prends un très grand plaisir à improviser en compagnie du violoniste Didier Lockwood. Son oreille est surnaturelle ! J'ai parfois l'impression qu'il devine l'accord que je vais jouer une seconde avant que je ne le joue. C'est un vrai improvisateur, c'est-à-dire qu'il accepte d'explorer n'importe quel paysage musical, créant sur le moment, sans chercher à réutiliser ce qu'il a fait dans des concerts précédents. J'ai aussi été très frappé par mes concerts avec le chanteur Bobby McFerrin ou le percussionniste Joël Grare.

En fait, sommes-nous au terme de ce clivage historique entre musiques savantes écrites et musiques savantes improvisées?

Je pourrais vous répondre que les deux sont complémentaires et qu'un improvisateur doit se nourrir de l'écrit pour enrichir son langage et ses possibilités. Sinon, je sais qu'il est toujours tentant de dire que l'on est contre les clivages, mais la réalité m'oblige à dire que peu de gens ont la capacité d'élever l'improvisation au rang d'art.

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À la Salle Bourgie, ce soir, à 19 h 30.