«Puissant, exubérant, actuel, c'est John Adams. Il synthétise tout le bagage de la musique savante et la musique d'aujourd'hui.» Voilà la description que suggère la violoniste Angèle Dubeau du compositeur californien John Adams. Voilà qui justifie un troisième Portrait de la Pietà qu'elle dirige, les deux autres étant ceux de l'Américain Philip Glass et de l'Estonien Arvo Pärt.

«Personne ne pourra me dire que la signature de John Adams n'est pas unique. À la différence de Glass et de Pärt, cependant, il est moins connu. Il n'a pas encore conquis des publics peu férus de musique sérieuse.»

On peut affirmer que cela ne saurait tarder. Lauréat du prix Pullitzer pour la musique en 2003, connu des amateurs de musique contemporaine américaine depuis les années 80, John Adams fut d'abord associé aux courants de musique répétitive. Originaire de la Nouvelle-Angleterre, il s'est établi dans la Bay Area (San Francisco) il y a quatre décennies. Ses oeuvres ont été rendues publiques à la fin des années 70.

On peut dire que les bonzes de la musique répétitive ont effectivement marqué John Adams, mais son langage puise dans d'autres affluents.

«Il est allé ailleurs, corrobore Angèle Dubeau. Sa pièce Shaker Loops, que nous jouons en septuor, est d'influence minimaliste, mais quand tu arrives à Road Movies, on n'est plus du tout dans le mode répétitif. Avec Philip Glass, par exemple, il faut maîtriser des patterns, successions de mêmes intervalles qui se décalent progressivement - intervalle 1-4-5 par exemple. Très différent avec John Adams, qui m'a donné plus de fil à retordre pour en intégrer le langage.

«Au bout de plusieurs heures de déchiffrage, ça ne rentrait pas. Troisième jour, rien! Au bout de cinq ou six jours, il y avait enfin quelque chose qui s'ancrait en moi. À ce moment, c'est parti. J'ai travaillé au métronome, c'en était abrutissant. Mon chien était en train de virer malade. Une pile de métronomes, je change ça aux cinq ou six ans, alors que j'en ai vidé deux en deux mois pour maîtriser cette musique. Complètement fou!»

On aura saisi que le coefficient de difficulté est plus élevé dans ce Portrait de John Adams qu'il ne le fut pour Glass et Pärt. En ce sens, la violoniste et chef de La Pietà décrit les trois oeuvres au programme:

Primo, Shaker Loops a été écrite en 1978 pour septuor.

«Depuis sa création, plusieurs versions pour orchestre ont été suggérées par John Adams. J'ai décidé de revenir au septuor, j'aime les enchevêtrements de l'oeuvre originale, les textures et les intonations. On entend tellement mieux à sept, mais il n'y a pas de place pour se cacher.»

Secundo, John's Book of Alleged Dances a été écrite pour quatuor à cordes en 1994. L'oeuvre fut créée à l'origine par le Kronos Quartet.

«Tout un défi! s'exclame Angèle Dubeau. Lorsque j'ai fait valider mes choix auprès du compositeur, il n'a émis qu'une réserve: j'avais décidé de doubler le quatuor à cordes (jouer à huit au lieu de quatre) et il s'en est inquiété. Les musiciens du Kronos lui avaient déjà confié que c'était presque injouable, imaginez en doublant le nombre d'instrumentistes dont il fallait conserver l'intonation et le rythme. Adams trouvait l'entreprise un peu casse-cou et je lui ai rétorqué: certain qu'on va le faire! Nous avons travaillé comme des malades, note par note. Des heures et des heures. Mais le résultat est là. Nous espérons qu'il pourra l'entendre lorsque nous jouerons à New York - il y est pour son opéra Nixon in China qui y est présenté.

Tertio, Road Movies a été composée en 1995 pour piano et violon. «Croyez-moi, lance la violoniste, cette oeuvre n'implique pas du piano d'accompagnement. C'est pourquoi j'ai choisi Louise Bessette, grande spécialiste de la musique contemporaine. Elle est méticuleuse, allumée. C'est du gros matériel... qui procure un grand plaisir à le jouer.»

«Avec La Pietà, conclut Angèle Dubeau, c'est le projet le plus audacieux que j'ai réalisé à ce jour.»

Angèle Dubeau et La Pietà présenteront des extraits des Portraits consacrés à Philip Glass, Arvo Pärt et John Adams à la salle André-Mathieu, le 19 mars, et à L'Astral, les 30 et 31 mars. La première new-yorkaise de Portraits aura lieu le 10 mars au Florence Gould Hall Theater.

Classique

John Adams

Angèle Dubeau et La Pietà

Analekta