Ce n'est pas tous les jours qu'on nous propose une entrevue avec un membre d'ABBA. Autant dire qu'on a répondu présent lorsque la maison de disques nous a offert un créneau avec Benny Andersson, le «barbu du groupe».

Soyons honnêtes: ABBA ne fait pas partie de notre panthéon musical personnel. Mais personne ne peut nier l'impact - durable - de la mythique formation suédoise sur notre imaginaire collectif. Pas seulement dans le monde occidental, mais partout sur la planète.

On était donc curieux d'entendre ce que Benny Andersson avait à dire. Sur son nouvel album d'abord, mais aussi sur le succès, l'argent, la création. Et sur ABBA, évidemment...

Un demi-siècle de composition

«Je suis à ta disposition. Demande-moi ce que tu veux», dit-il de bonne grâce, depuis ses studios suédois, situés dans un ancien hangar de l'île de Skeppsholmen, au coeur de Stockholm.

De toute évidence, Benny n'est pas super fan du jeu promotionnel. «Je le fais pour appuyer la compagnie», admet-il. Mais en même temps, on le sent heureux de défendre ce nouveau disque de musique instrumentale, qui vient de paraître sur l'étiquette classique Deutsche Grammophon.

Disque dont il se dit «très content» et dans lequel il reprend, au piano, une vingtaine de ses vieilles chansons, tirées du répertoire d'ABBA, du film Mamma Mia! et de la comédie musicale Chess.

L'idée de revisiter son oeuvre lui est venue naturellement, dit-il, «juste pour voir ce qui se passe». Ce n'était pas une démarche nostalgique, encore moins une tentative d'être reconnu comme un musicien sérieux («je n'ai rien à prouver»), mais simplement une envie de faire partager «la somme de presque 50 ans de composition».

Intimiste

Soyez prévenus: vous ne trouverez ici aucun des grands succès up tempo d'ABBA. Conçues à l'origine pour la radio, des chansons comme Waterloo, Dancing Queen ou Chiquitita «se prêtaient mal» à ce nouveau projet, qui se veut plutôt intimiste, voire mélancolique, style soirée-à-regarder-la-neige-tomber-pendant-que-le-feu-crépite.

On y découvre en revanche une facette moins connue de Benny Andersson. Celle d'un compositeur éclectique qui n'en est pas à sa première incursion en dehors de la pop. Depuis la fin d'ABBA, le musicien a en effet participé à une foule de productions aussi variées que le travail choral, les spectacles pour enfants et fait beaucoup de musique folklorique suédoise, à l'accordéon, avec son ensemble BAO (Benny Anderssons Orkester).

L'héritage d'ABBA

Cela dit, le patrimoine d'ABBA l'occupe encore beaucoup. Même si le groupe a déposé les armes en 1982, ses chansons continuent d'être jouées sous diverses formes, ce qui lui demande encore de l'énergie.

Le musicien met notamment les dernières touches à la trame sonore du prequel du film Mamma Mia! (Here We Go Again), dont la sortie est prévue l'an prochain.

Il suit aussi d'un oeil «intrigué» ce projet de spectacle numérique lancé par le producteur anglais Simon Fuller (American Idol, Spice Girls), où des avatars des membres d'ABBA se produiront sur scène, avec de vrais musiciens. Un intéressant compromis pour ceux ou celles qui espèrent encore une réunion de Benny, Bjorn, Agnetha et Frida...

À la question «De quelle époque seront les avatars en question?», Benny répond de but en blanc: «On nous a donné le choix. Vieux ou jeunes. Les filles ont proposé 1979 parce qu'elles auront la silhouette qu'elles avaient en 1979... Assez drôle.»

Le spectacle avatar devrait prendre la route vers le printemps 2019. Souhaitons qu'il s'arrête au Québec.

INSTRUMENTAL. Piano. Benny Andersson. Deutsche Grammophon/Universal.

Image fournie par Deutsche Grammophon/Universal

Piano, de Benny Andersson

Entre deux mots

On a proposé à Benny Andersson ce petit jeu qu'on aime bien. On lui soumet deux mots. Il doit en choisir un et expliquer pourquoi.

ABBA ou BAO?

«Oh! Tu n'as pas le droit de poser des questions comme ça! ABBA était avant. BAO est maintenant. Je suis très fier de ce que nous avons accompli avec ABBA. Mais mon groupe BAO  [Benny Anderssons Orkester], c'est ce que je fais aujourd'hui.»

Piano ou accordéon?

«Si je dois en choisir un, je prends piano. C'est mon instrument. Il n'y a rien de mieux pour créer de la musique. Cela dit, j'adore mon accordéon. J'ai appris très jeune. J'aime en jouer avec mes amis violoneux, quand nous allons dans les vastes sources de la musique folk suédoise. Le folk suédois est présent dans toutes les musiques que j'ai composées. Même avec ABBA. Il y a ce côté étrange qui fait que nous n'étions pas tout à fait anglo-saxons...»

Agneta ou Frida?

«Je prends les deux. Parce qu'ensemble, elles étaient plus que 1+1.»

Björn Ulvaeus ou Björn Again?

«Björn Ulvaeus. Bien sûr. Facile (rires). En plus, je n'ai jamais vu Björn Again [groupe hommage à ABBA], même s'ils ont existé plus longtemps que nous... C'est sympa, tous ces groupes qui jouent notre musique. Même s'ils ne payent pas tous pour les droits...»

Gloire ou argent?

«Je dois répondre l'argent, parce que l'argent rend la vie si facile. La gloire, il ne faut pas l'attendre. Ni lutter pour. C'est bien quand elle arrive, parce que ça veut dire que les gens aiment ce que tu fais. Mais le plus important, c'est le travail. Essayer d'être le meilleur possible, à tout moment de sa vie professionnelle.»

Eurovision ou La voix?

«Aucun des deux. Je ne m'intéresse plus vraiment à ce qui se passe avec les nouveaux artistes. Eurovision, je peux l'apprécier comme émission de télé. Mais pas pour la musique. C'est vrai que ce concours, ça a aidé ABBA à percer. À l'époque, c'était la seule façon qu'on avait trouvée pour être entendus à l'extérieur de la Suède.»

Dancing Queen ou Swedish Queen?

«Je suis républicain, donc clairement Dancing Queen! La reine de Suède ne me dérange pas. C'est une personne plaisante. Mais la royauté appartient à l'Histoire, non? C'est inoffensif dans un sens. Parce qu'ils n'ont pas d'impact politique. Mais ce n'est pas très démocratique. Dancing Queen signifie beaucoup plus pour moi. On me demande souvent lequel de nos succès je préfère. Mais ils sont tous tellement différents. Impossible d'en choisir un seul!»

Rythme ou mélodie?

«Je prends mélodie, parce que c'est ce qui m'accroche. Mais quand tu essaies d'écrire une chanson, les deux doivent venir ensemble. Mélodie, rythme, harmonie. C'est un tout. Aujourd'hui, ils écrivent les chansons par étapes. Un type fait la piste rythmique. Un autre fait la basse. Un troisième fait je ne sais quoi. À la fin, ils ajoutent la mélodie. Je ne comprends pas comment ça peut marcher. Manifestement, ça marche d'un point de vue commercial, mais... Je ne sais pas... Ce n'est pas mon truc.»

2017 ou 1977?

«2017. Parce que c'est maintenant. Que j'apprécie la vie. Que c'est bien de vieillir un peu. C'est vrai que j'étais riche et connu en 1977. Mais je le suis toujours! Avant, on était dans le tourbillon ABBA. C'était plus chaotique. Aujourd'hui, c'est plus relax. Je peux faire ce que je veux. Choisir ce que j'aime. C'est pour ça que j'ai fait ce disque de piano. Ça ne me dérange pas vraiment si les gens ne sont pas intéressés. Je l'ai fait parce que je voulais le faire...»