Catherine Major a fait le théâtre Outremont pour la première fois en 2009, enceinte de 4 mois. Ce soir, elle refera le théâtre Outremont, à nouveau enceinte de 4 mois. Comme quoi cette musicienne et compositrice, qui chante dans le désert des solitudes les drames et les douleurs des êtres humains, sait aussi s'abandonner aux hasards heureux.

Catherine Major vit à Outremont dans la maison où elle est née, trois mois avant le référendum de 1980. La ruelle où elle jouait quand elle était petite est celle où elle joue aujourd'hui avec Frédérique, sa petite de 3 ans. Quand elle se promène avenue Bernard, près du théâtre Outremont, où elle a vu son premier film en tenant la main de son premier chum, elle n'en finit plus de saluer les gens. Elle est ici chez elle, dans une zone de confort qu'elle a d'ailleurs partagé avec Coeur de Pirate l'an dernier sans le savoir. La blonde Béatrice Martin vivait en effet presque en face de chez elle, mais les deux chanteuses tels deux astres aussi éloignés l'un de l'autre que le soleil et la lune ne se sont jamais croisées.

Vers la fin de l'adolescence quand l'envie de se rebeller a montré le bout de son nez, Catherine Major a eu envie de fuir Outremont. Elle est partie vivre en France, puis elle s'est installée à Villeray, mais la naissance de sa fille l'a ramenée au bercail, au troisième du triplex de son père, avec l'auteur-compositeur-interprète Jeff Moran, le papa de Frédérique et de leur futur enfant.

«Le sens de la continuité»

Si j'insiste autant sur Outremont, ce n'est pas pour donner de Catherine Major l'image d'une gosse de riche ou d'une enfant gâtée, parce que ce n'est absolument pas le cas. Ses parents sont issus de la classe moyenne. Elle n'est pas née dans un château de la rue Maplewood dans l'«Outremont ma chère», mais dans un triplex de l'«Outremont pas cher». Son père, Daniel Major fut longtemps styliste à l'emballage chez Imperial Tobacco, sa mère, Jacinthe Dompierre, correctrice de textes. La famille n'était pas pauvre, mais pas riche non plus. En fait, Catherine Major aurait pu naître à Rosemont ou à Villeray. Ce qui est signifiant chez elle, ce n'est pas tant Outremont que son attachement profond au quartier de son enfance.

«Le sens de la continuité, de la famille, ça vient de mon père qui est à la fois très ouvert et très attaché aux traditions, raconte-t-elle. Quand mon chum s'est installé avec moi, je l'ai prévenu, que nous étions très famille et que ça lui demanderait sans doute un certain temps d'adaptation.»

Catherine Major m'a donné rendez-vous aux Enfants terribles, la buvette la plus populaire du coin, qu'elle fréquente assidûment, et la source d'inspiration de la chanson Bien, sur son plus récent album, Le Désert de solitudes. Je remarque immédiatement ses longues et fines mains qu'elle agite en parlant: des mains faites pour jouer du piano, ce qu'elle entreprit dès l'âge de 4 ans. Quand elle y pense aujourd'hui, elle est elle-même un peu étonnée, surtout que sa fille va avoir 4 ans l'an prochain.

Son prof avait pour nom Elisabeth Papageorges, une Grecque affiliée à Vincent-D'Indy qui a vite constaté que sa jeune élève était douée pour le piano en particulier et pour la musique en général. «En fait, j'ai appris à lire la musique avant de pouvoir lire et écrire» se souvient-elle. En même temps, Catherine Major avait de qui tenir. Sa mère avait étudié le piano pendant 13 ans et a écrit plusieurs des textes de ses chansons. Quant à l'oncle de Catherine, c'est le pianiste et compositeur François Dompierre, chez qui elle a enregistré sa toute première composition.

Bifurcation

À 11 ans, Catherine Major entre en musique à Pierre-Laporte et se dirige lentement mais sûrement vers un bac en piano classique sans encore se plaindre du corset théorique et musical dans lequel elle s'est volontairement enfermée. Pourtant, au sortir de l'université, elle bifurque presque en cachette vers le monde de la chanson et de la musique de film. «Le classique commandait une discipline et une rigueur qui ne me convenaient plus. Ça ne me tentait pas de répéter quatre heures par jour au piano. Moi, j'ai besoin de butiner, de suivre mon inspiration du jour et d'être créative. Cela dit, je prends encore énormément de plaisir à jouer du Chopin dans mes shows ou alors à écrire des arrangements pour cordes ou orchestre. Le classique, ça fait toujours partie de moi.»

Dans la vingtaine, alors qu'elle compose toujours en cachette et n'ose pas encore nommer le désir de scène qu'elle éprouve, Outremont jouera un rôle déterminant. D'abord sa voisine de ruelle est Monique Giroux, qui l'entend souvent jouer ses compositions au piano. L'animatrice de radio l'interpelle un jour en lui suggérant de s'inscrire au camp de chanson de Petite-Vallée. Le conseil ne pas tombe dans l'oreille d'une sourde. En 2001, Catherine Major remporte le prix Socan de la chanson à Petite-Vallée et l'année suivante, elle sera la lauréate des auteurs-compositeurs-interprètes. À la même époque, sa voisine et amie, Anaïs Barbeau-Lavalette, signe un premier documentaire - Les petits princes des bidonvilles - et lui demande d'en composer la musique. Et voilà c'était parti!

À contre-courant

Dix ans plus tard, Catherine Major a composé la musique de trois albums et d'une douzaine de films. Elle s'est imposée sur scène avec son piano et un bout d'épaule dénudée, sexy, mais de manière discrète et jamais ostentatoire. «Pour se la jouer sexy, il faut une confiance absolue en soi que je n'ai pas. Je veux bien me mettre à mon avantage et être féminine, mais jamais aux dépens de ce que j'ai à dire.»

Or, ce qu'elle a à dire, ou plutôt, la manière dont elle le dit, est carrément à contre-courant de la pop contemporaine. Ses chansons romantiques au lyrisme sombre, douloureux et dramatique, ont quelque chose de suranné. En l'écoutant, on pense à Diane Juster, version 2012. La comparaison ne la surprend pas. Elle l'a entendue à maintes reprises, et une fois même de manière plutôt spectaculaire. Le collectionneur d'art François Odermatt, qui fut autrefois le compagnon de Diane Juster, était en effet prêt à lui offrir la lune pour propulser sa carrière. Catherine Major a été flattée, mais a gentiment décliné. L'important, pour elle, c'est de créer, de composer de la musique, pas nécessairement d'être une star.

Ce soir, Catherine Major n'aura qu'un pâté de maisons à faire pour se rendre sur la scène du théâtre Outremont. Elle y retrouvera son piano, ses trois musiciens et un quatuor à cordes, les Mommies on the Run, un luxe qu'elle se paie pour son dernier concert de l'année 2012. Elle sait qu'il y aura dans la salle plusieurs têtes grises nostalgiques de la belle époque de la chanson à textes façon Barbara, Brel et Ferré. Il y aura aussi des trentenaires qui n'ont pas connu cette époque, mais qui se retrouvent dans l'intensité romantique de Catherine Major, dans la musicalité de son piano, et qui ne disent pas non à son joli bout d'épaule discrètement dénudé.

Quatre temps forts de Catherine Major

- 4 ans, l'âge de sa découverte de ce fascinant instrument qu'est le piano et de son apprentissage sérieux de la musique grâce à l'encouragement de ses parents.

- à 22 ans, en 2002, le Festival en chanson de Petite Vallée où on lui offre sur un plateau d'argent des tonnes de prix qui lui donnent confiance et lui permettent d'avancer.

- à 28 ans, un show à la salle Maisonneuve en première partie de Véronique Sanson aux Francos de 2008. Sa première grosse bouffée d'émotions causées par des applaudissements accompagnés d'une ovation: un déclencheur pour la suite.

- à 29 ans en 2009, la naissance de sa fille Frédérique, le début de sa deuxième vie. Celle de mère et celle de l'amour inconditionnel.