À quelques jours d'intervalle, Françoise Hardy publie un 27e album et un premier roman, tous deux baptisés L'amour fou. Et tous deux lancés 50 ans après Tous les garçons et les filles, premier disque de la longiligne Françoise. Le roman a été écrit et réécrit pendant 30 ans, les chansons du dernier disque sont nées l'an dernier. Entrevue téléphonique avec une icône, mais surtout avec une femme, une auteure et une lectrice invétérée qui, à 68 ans, est très malade et très vivante.

Q : Votre roman est presque terrifiant, il relate une relation amoureuse obsessive, qui prend toute la place. Cela a dû demander du courage, pour ainsi se révéler publiquement.

R : Ce n'est pas une affaire de courage, c'est une affaire de tempérament [rires]. Et puis, il suffisait d'écouter certaines de mes chansons pour savoir que j'avais un tempérament tumultueux, passionné. Quelqu'un qui fait des chansons, généralement, c'est quelqu'un d'extrêmement sentimental, et même d'extrêmement sentimental avant tout, c'est inhérent. Pour moi, l'amour est une addiction, j'en suis consciente. Mais le roman ne parle pas que de ce que j'ai éprouvé pour Jacques Dutronc. Il y a quelques êtres pour qui je me suis enflammée dans ma vie. Je crois qu'on est très nombreux à vivre l'amour comme cela. La différence, c'est que pour moi, cet état peut durer très longtemps!

Q : L'album, quant à lui, semble justement dire que la dépendance amoureuse est dure, cruelle, mais qu'elle nourrit la vie, au final, qu'elle est utile.

R : Ça m'embête, parler de ça, mais sinon, je ne serais pas claire... Comment dire? J'ai des problèmes de santé [lymphome de type MALT], il y a des moments où je ne vais pas bien du tout, à tel point que je me dis que c'est la fin. Le fait qu'elle se rapproche réellement, que l'épée de Damoclès se concrétise beaucoup plus, cela vous fait penser un peu autrement. C'est vrai que la chanson L'amour fou, qui a donné son nom à l'album, concerne plutôt Jacques Dutronc. C'est très mélangé, les sentiments qu'on peut avoir pour quelqu'un qu'on connaît depuis si longtemps [la relation Hardy-Dutronc a commencé en 1967], qui vieillit en même temps que nous; il y a tout un mélange de sentiments et d'attendrissements. Chaque fois que je vois à la télé un film où Jacques Dutronc joue, ça me fait un effet étrange, il est à tomber tellement il est beau, il est irrésistible! Et ces images font renaître certaines choses en moi... On n'oublie pas les grands moments qu'il y a eu dans un amour et on a envie de remercier cet être d'avoir pimenté notre vie de cette façon-là.

Q : Il y a quelque chose de Proust dans votre roman, qui relate les infimes variations d'un amour véritablement fou. Comme un motif récurrent, une petite musique particulière. On pourrait même dire que votre disque est l'équivalent de la fameuse «sonate de Vinteuil» évoquée par Proust dans son roman Un amour de Swann, avec un piano et votre voix pour violon, non?

R : C'est très flatteur, mais je ne pourrai jamais me comparer à un auteur pareil! Je ne voulais pas publier le récit au départ parce que je pense que ce n'est pas un livre qui peut intéresser tout le monde, il faut être un sentimental introverti pour l'apprécier. C'est dense, comme livre. Longtemps, il s'est appelé Emprise... J'allais très mal quand j'ai commencé à l'écrire, il y a 30 ans. Très, très mal. Et si j'ai entrepris l'écriture, c'était dans l'espoir d'aller moins mal. Le temps de l'écriture, on éprouve un soulagement. Et puis, ça me permettait de constater que j'avais une grande part de responsabilité dans cette histoire. Mais bon, le soulagement était provisoire. Le vrai soulagement n'arrive qu'au moment où on est libéré de l'addiction. Il y a un passage très important, que j'ai ajouté récemment au récit, où la narratrice laisse entendre que l'histoire s'est finalement terminée [page 79 du roman].

Q : Dans ce passage, vous évoquez justement la bombe à retardement que sont les conséquences de la «souffrance affective». Est-ce que la maladie en fait partie?

R : Bien sûr [silence]. Il y a des choses que je préfère laisser dans le vague [rires]. C'est pour cela que le roman est sans précision ni détail concret, ça le rend plus épuré, plus dépouillé, c'est pas mal non plus, non? Il y a un an, je me suis retrouvée à l'hôpital, j'avais fait une chute, et je me suis dit que j'allais en profiter pour faire un énième album; j'avais déjà écrit la chanson L'amour fou et je savais que ce serait le titre du disque. Et alors, j'ai pensé que le roman pourrait sortir en même temps, étant donné que ce récit est l'histoire à répétition que j'ai vécue toute ma vie et qui m'a inspiré la majorité des textes de mes chansons...

Q : J'insiste, il fallait donc du courage pour évoquer ainsi une telle dépossession de soi, et aussi pour y survivre?

R : Oui. Mais dans quel état [long rire chaleureux]!