Venu à Montréal à quelques reprises, Nicolas Jaar s'est déjà taillé une place de choix dans l'univers électro. Hormis les EP qu'il crée depuis 2008, l'album Space Is Only Noise (label Circus Company) a été retenu parmi les incontournables du genre l'an dernier. Par la grande porte, le jeune artiste de 22 ans revient à Mutek par la grande porte.

«J'ai déjà joué sous la pluie au Piknic Elektronic, dans le cadre de Mutek. Il n'y avait pas grand monde devant moi et on pouvait entendre Ricardo Vilalobos sur la scène voisine lorsque ma musique s'approchait du silence», relate-il avant d'échapper un ricanement d'autodérision.

Peu probable que Nicolas Jaar s'illustre cette fois dans la confidentialité. Clairement, il figure cette année parmi les gros noms de Mutek. Fils de l'architecte et cinéaste chilien Alfredo Jaar et d'une designer industrielle autrefois danseuse professionnelle, Nicolas est né à New York. Il a toutefois vécu sa petite enfance au Chili avant que sa famille ne revienne s'installer dans la Grosse Pomme jusqu'à ce qu'il entreprenne des études de littérature comparée à la prestigieuse université Brown dans le Rhode Island.

À quelques jours de l'obtention de son diplôme, on le joint à Providence. Et l'on a tôt fait de constater une confiance en soi... que certains pourraient même qualifier de forte tête. Mais bon, tout se passe très vite pour ce jeune homme très doué devenu star au tournant de la vingtaine, on peut comprendre cette arrogance relative dans le ton.

«Je travaille en théorie critique en ce qui a trait à la littérature espagnole ou française. Oui, je serai diplômé dans ce domaine mais je suis musicien. Je préfère ne pas séparer les disciplines de la création mais, sans doute, il apparaît évident que la musique et la littérature sont très différentes. Je souhaite néanmoins que ce que j'ai appris à l'université demeure en moi. Sinon, je devrai retourner à l'école.»

Hormis ces études de lettres qui étoffent sa culture d'artiste, l'environnement familial de Nicolas Jaar a visiblement été propice à son éclosion.

«Mon père et ma mère ont eu un impact énorme sur mon propre développement, je leur en suis très reconnaissant. Je n'ai jamais vécu de conflit de génération, mes parents m'ont vraiment inspirés et qui ont été la force la plus positive pour ma vie créative, en fait. Ma rébellion, en fait, je l'ai vécue avec l'école. Plus précisément au lycée français de New York, très strictes... et très utiles pour la rébellion! (rires)»

Après les études littéraires, éducation musicale à l'horizon, Nicolas Jaar ? On l'imagine faire la moue de sa chambre d'étudiant.

«J'ai pensé suivre des cours de chant... Afin de chanter convenablement et faire ce que je veux avec ma voix. Pour le reste, j'aime cette idée de ne pas être un bon musicien. Ou plutôt de ne pas savoir vraiment ce que je fais. Enfin... je sais ce que je fais avec mes outils et ma propre méthodologie. Et lorsque je vois certains musiciens éduqués créer de la musique, je me réjouis. Car j'estime que ma personnalité artistique n'aurait pu émerger si j'avais acquis une éducation musicale de type institutionnel. »

Ainsi, Nicolas Jaar croit être libre de faire fleurir son langage musical sans le fardeau de quelque tradition. Mais... insistons un tantinet : ne pas connaître l'harmonie, l'orchestration, l'histoire de des musiques classiques ou contemporaines limite-t-il un compositeur à long terme? Sans brocher, Nicolas Jaar reste sur ses positions.

«Vous savez, je sais ce qu'est une structure harmonique parce que je me suis mis au piano et j'ai compris ce que signifiait la combinaison de  plusieurs notes. C'est précisément là que se trouve la différence entre moi et un autre qui sort d'une faculté de musique. Je n'en fais pas un principe, remarquez, c'est un choix personnel. À l'âge de 12 ans, j'ai eu droit à quelques leçons de piano et je n'ai pas aimé. Or, ça m'a donné une bonne idée de ce que représentait apprendre un instrument, puis essayer de composer. Aujourd'hui, j'ai le sentiment de pouvoir créer un environnement sonore, mais je veux apprendre davantage sur les formes. Je sais comment traiter le bruit d'une abeille et en faire de la musique, tout comme amalgamer des quantités folles de bruit. C'est ce qui vient naturellement chez moi. Ce qui ne vient pas naturellement, c'est jouer du violon! Alors mon évolution musicale est essentiellement formelle.»

La trajectoire de Nicolas Jaar est jeune, il faut dire. Nous n'en sommes vraiment pas à l'heure des bilans! Quoique...  «Je suis fier de certains moments de ma courte carrière. Par exemple, la soirée de fermeture du Bar 25 (de Berlin) fut pour moi un moment très spécial parce que cela coïncidait  avec la fin d'une relation personnelle. Cela m'a conduit à donner une de mes meilleures performances devant public.»

Quant à l'album Space Is Only Noise, acclamé sur l'entière planète électro, Nicolas Jaar estime que cet opus lui a permis de prendre de nouveaux chemins :

«À la fin de la création de cet album, certaines de mes idées musicales ont trouvé leur aboutissement et leur fin. Par exemple, mon public a assisté aux funérailles de certaines formes de hip hop instrumental. Une nouvelle conception de ma musique s'est imposée par la suite, cela m'a mené à créer les chansons Don't Break My Love et Why Didn't You Save Me. Je suis heureux d'avoir pu aller ailleurs par la suite.»

Aller ailleurs... Et le voilà parmi nous. Que prévoit faire de son escale montréalaise?

«Chaque performance aura son propre espace, son propre contexte.  Mon groupe sera composé d'un guitariste ainsi que d'un saxophoniste qui joue également des claviers. Bien sûr, je compte reprendre quelques titres de Space Is Only Noise, il y aura aussi d'autres musiques, beaucoup d'improvisation. Je veux faire danser les gens au Métropolis, un club que je connais. Je souhaite que les gens s'amusent mais aussi qu'ils soient nourris par la musique. Une diversité de propositions, en fait.»

Invité à Mutek, Nicolas Jaar se produira vendredi 1er juin au Métropolis dans le cadre de la soirée Nocturne 3, puis le dimanche 3 juin au parc Jean-Drapeau dans le contexte du Piknic Electronik en mode Mutek.