Monstre marin, dernière chanson au programme du récent album Agnus Dei, était mardi l'occasion d'un départ... carrément monstre. Autant il est ardu de rendre l'énergie et le potentiel d'une telle créature en studio, autant il est aisé et réjouissant de la lâcher sur scène, à l'assaut du public. Méchant Gros Mené! La Tulipe, remplie à pleine capacité par les fans de Fred Fortin et sa famille politique, a tremblé jusqu'aux tréfonds de son bulbe.

Fut ensuite servie la chanson titre de l'opus, offrande sanguinolente comme on l'a déjà souligné, plus agitée rythmiquement, sertie de vigoureux tricotages guitaristiques et dont les rivières de distorsion sont traversées par des ponts magnifiques.

Retour immédiat à la lourdeur, c'est le «cou cou ketchou» de la Vénus (en Québec), celle qui exauce tous les désirs comme l'évoque son auteur. Pote Michel, crépitante cocufiction rock, lance un train de riffs sur la voie de l'infidélité. Après le train, vrombit le Ski Doo du premier album de Gros Mené, chanson renforcée par l'expérience et la virtuosité acquise de ses protagonistes. On note ici de belles touches hardcore et évocations métalliques. On est alors prêt à prendre d'assaut les palissades de J'garde le fort, de tempo moyen malgré l'armature sonore. C'est l'histoire d'un gars (comprends-tu) qui se terre dans sa tanière et dans le lard qui le barde de réconfort apparent.

Une soirée avec Fred Fortin et autres Olivier Langevin ne peut exclure de vives allusions au sport national: irruption totale sur le thème d'Ovechkin. S'ensuit le grand écart de Grandes Jambes, tirée de Plastrer la lune, question de «bifurquer, tromper not'Gros Mené» comme le suggère le chanteur et (surtout) bassiste de la soirée. Avant d'ajouter plus tard qu'il y a toujours un Pierre Bouchard qui nous surveille! Et qu'il est l'heure pour Fred et son Gros Mené de remonter la source au bout de laquelle se trouve un... Dépanneur ainsi qu'un membre éminent des Dales Hawerchuk venu en renfort - Sébastien Séguin.

Après le feu nourri de Liminant Ménard et le jam orgiaque déployé au beau milieu de L'amour dans l'rock, on s'achemine à grands pas vers les rappels: torride et presque ballade L'amour à l'échelle 1/60, bluesy Saint-Prime assortie de rimes profondément dialectales (on sort un gars du Lac Saint-Jean mais on ne sort jamais le Lac du gars), très garage Garage, le tout coiffé d'une finale à peu près instrumentale  et d'un bye-bye drapé du drapeau régional.

On aurait pu se présenter à La Tulipe avec le sentiment d'investir une rallonge de Galaxie, édifice imposant érigé par Olivier Langevin, c'est-à-dire dans un esprit très proche. Même famille de musiciens (Langevin, guitare solo, Pierre Fortin, batterie, Nicolas «Nicotine» Bernarz, guitariste rock et fort différent de Jocelyn Tellier qui donne généralement la réplique et qui n'était pas disponible pour la tournée du Gros Mené), même propension à la rugosité sale et aux métriques complexes de la culture rock telle qu'on l'imagine aujourd'hui. Or, l'expérience s'avère différente, surtout lorsqu'on la reçoit en pleine gueule dans une salle surchauffée.

Et puis... le Québec rock est tout petit, les excellents francos du genre ne sont pas légion. Il faut faire avec, s'accommoder de notre bocal. Fort heureusement, le bocal peut parfois rassasier son amateur lorsqu'il se présente à un tel cérémonial. Il en sort avec le net sentiment d'avoir écouté un band qui n'a rien à envier aux meilleurs du genre sur l'entière planète rock. Alors? Gros Mené, sors de ce bocal!