Il faudra bientôt s'en remettre au hasard pour obtenir des conseils ou des suggestions de musique dans les magasins Renaud-Bray du Québec. La chaîne a aboli officiellement le poste de disquaire, avant-hier.

Faut-il blâmer iTunes? Amazon? Signe de notre époque, à l'ère du numérique et du commerce en ligne, le métier de disquaire est en voie de disparition.

Il ne reste que 8 disquaires attitrés dans les 31 succursales Renaud-Bray du Québec, alors qu'on en a déjà compté le même nombre dans un seul magasin. Tous perdront leur emploi et auront la possibilité de postuler à un poste de caissier, en fonction de leur ancienneté.

«Ça m'a ébranlé», dit Mathieu*, disquaire chez Renaud-Bray depuis près de 15 ans, dont nous allons préserver l'anonymat. «Je vends beaucoup moins de disques qu'avant, mais je trouve ça plate que les patrons déclarent forfait sans réfléchir et innover.»

Renaud-Bray a préféré ne pas expliquer sa décision à La Presse. «Je n'ai pas de commentaire à ce sujet», nous a écrit par courriel le président-directeur général Blaise Renaud, qui est actuellement en Europe.

«Nouveaux impératifs commerciaux»

La Presse a obtenu une note aux employés envoyée par la directrice des opérations, Geneviève Vincent-Payant.

«Comme vous le savez, le secteur de l'audiovidéo subit des changements profonds depuis quelques années. Bien que nos succursales aient pu se tirer d'affaire plus longtemps que certains autres détaillants, elles n'échappent plus aujourd'hui à cette réalité, peut-on lire. Nous sommes donc contraints de revoir nos opérations et de procéder à l'abolition de la fonction de disquaire dans l'ensemble du réseau.»

La direction de Renaud-Bray accuse la nouvelle réalité du marché et dit faire face «à de nouveaux impératifs commerciaux». «Au cours des prochaines années, Renaud-Bray devra renforcer la place qu'elle s'est taillée dans son secteur d'activité et continuer à s'adapter à un monde en constante évolution.»

Hier, nous avons voulu recueillir les commentaires et les impressions des employés de la succursale Renaud-Bray de la rue Saint-Denis. Tous ont refusé sur-le-champ de nous parler et nous ont renvoyés à leur directeur de magasin.

Le conflit de travail de l'automne dernier a laissé des traces. Pendant trois semaines, 250 employés du tiers des succursales ont tenu une grève générale illimitée.

Selon la nouvelle convention collective, les commis sont considérés comme des libraires. La catégorie «disquaire» existe toujours, mais à un niveau inférieur que celle de libraire dans l'échelle salariale. Conséquence: un ex-disquaire comme Mathieu pourra seulement prendre le poste de caissier d'un collègue qui a moins d'ancienneté que lui. Impossible pour lui d'être libraire. «Ça me dépasse», dit-il.

Réinventer la vente

Ses patrons devaient agir devant la diminution des ventes de musique en magasin, dit Mathieu, mais pas à n'importe quel prix pour le service à la clientèle. «La semaine dernière, c'était mort. J'ai lavé les tablettes des DVD pour m'occuper», raconte-t-il. Mais le disquaire aurait souhaité que ses patrons réinventent la façon de vendre de la musique en magasin.

La boutique de musique indépendante L'Oblique, par exemple, invite des artistes à se produire dans son magasin de la rue Rivard, sur le Plateau. L'Oblique a un réseau de «clients-amis», explique le propriétaire Luc Bérard. «Je ne veux pas que L'Oblique soit juste un magasin de disques, mais un lieu de rencontres.»

Il reste que les temps sont durs pour tous les commerçants de musique au détail, à la fois pour les grandes surfaces et les magasins indépendants. «Moi aussi, je vends moins de disques, mais je n'ai pas les mêmes critères de rentabilité», souligne Luc Bérard.

* prénom fictif