Rufus Wainwright a plus l'air d'un bûcheron que d'un auteur-compositeur acclamé en cet après-midi de juin frisquet. Échevelé, il porte une barbe de plusieurs mois et une veste de laine. On peut lui pardonner son air de coureur des bois : l'artiste bûche à temps plein sur Prima Donna, son premier opéra. L'oeuvre sera présentée en première mondiale au Festival international de Manchester le 10 juillet.

«Je travaille comme un forcené dans la maison de campagne que j'ai louée. En fait, nous sommes en avance dans notre horaire», dit-il avec confiance.

Il faut dire que Rufus Wainwright a eu l'idée de son premier opéra il y a déjà trois ans. Ce jour providentiel, il regardait le documentaire Conversations avec Maria Callas.

«Elle était assise dans son appartement parisien avec sa coiffure pas possible et sa robe de scène médiévale et elle a juste dit : "Et voilà ce que c'est que d'être la prima donna". Je ne me souviens plus du contexte, mais à cet instant, mon opéra s'est incarné dans mon esprit.»

Prima Donna raconte donc la journée d'une chanteuse vieillissante alors qu'elle prépare son retour sur scène. Sa rencontre avec un journaliste dans son appartement chamboulera sa vie.

Une semaine après avoir trouvé le synopsis, Rufus Wainwright reçoit une commande du nouveau directeur du Metropolitan Opera de New York, Peter Gelb. Une coïncidence qui ne ment pas.

Dire non au Met

Dès l'écriture, l'auteur-compositeur déterre ses racines : sa diva, Régine St-Laurent (en hommage à la soprano Régine Crespin), est montréalaise. Et elle chante en français!

Un point dont l'homme de 35 ans n'a pas voulu démordre. Le Met, rebuté à l'idée de présenter un nouveau spectacle chanté en français, lui demande de traduire son libretto en anglais. Après quelques essais, Rufus Wainwright a le culot de dire non.

Le chanteur explique : «Les paroles me venaient naturellement en français. J'essayais de m'imprégner du Paris de Berlioz. Et plus je travaillais en français, plus j'étais inspiré. La langue enrichissait même la musique. Alors Peter Gelb, qui ne m'avait jamais précisé de faire l'opéra en anglais, a préféré se désister. Étrangement, il a fallu que je vienne en Angleterre pour faire mon opéra en français...»

Après Manchester, Prima Donna sera présenté l'année prochaine à Melbourne, Londres et Toronto (au festival Luminato).

Opéra, sexe et drogue

Sans opéra, Rufus Wainwright ne serait peut-être plus sur Terre. Le surdoué confie à La Presse que cette forme d'art lui a sauvé la vie, pas une, mais deux fois. La première fois fut lors de sa sortie du placard, à l'âge tendre de 14 ans.

«Ç'a été très difficile, se souvient-il. C'était l'époque de Reagan et le sida était répandu dans le milieu gai. Être homosexuel, c'était être condamné à mort. L'opéra était la seule musique qui résonnait avec mes émotions, avec mon univers sombre.»

La seconde fois, l'opéra l'a tiré de l'enfer de la drogue. «Dans le milieu de la pop, c'était la norme de "consommer". Mais avec l'opéra, tu as besoin de toutes tes facultés, sinon tu perds le rythme. Ça m'a aidé à m'en sortir.»

D'ailleurs, même si Rufus a acquis ses lettres de noblesse grâce à la pop, il n'a pas composé un opéra rock. Ce n'est ni du «Figaro ! Figaro !» ni de l'opéra intellectuel et inaccessible, prévient-il.

«C'est très conventionnel, lyrique et sophistiqué. Mes références sont Strauss, Wagner, Puccini, Janacek... Je veux revigorer le genre.»

Appréhende-t-il la réaction des puristes ? «Ils sont les pires ! s'exclame-t-il. L'establishment de la musique classique est le plus hautain que je connaisse. J'ai été rejeté d'une façon presque comique au festival de Verbier en Suisse (où il a interprété des morceaux classiques l'année dernière). Mais c'est correct, ils vont apprendre», dit-il avant d'éclater de son grand rire enfantin.

Et après Prima Donna? Il enregistrera «très rapidement» un nouvel album, où sa voix sera seulement accompagnée d'un piano.

«Je vais repartir en tournée très bientôt. J'aimerais aussi écrire un musical dans lequel je pourrais chanter... Un projet pour lequel je n'aurai pas à me laisser pousser une barbe», dit-il, sourire en coin.