Dur constat pour les patrons de presse réunis aux Assises du journalisme de Metz: tous témoignent que les sites internet d'info s'en sortent assez bien, voire très bien, mais sans pouvoir financer les titres papier, où plus de 300 emplois devraient être détruits cette année.

«Les sites d'infos s'autofinancent à peu près mais ne suffisent pas à compenser la baisse du revenu du papier», a résumé Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L'Express. «À L'Express.fr, qui emploie une centaine de personnes dont 35 journalistes, nous équilibrons les coûts de la rédaction, du développement et du marketing avec les rentrées publicitaires», a-t-il assuré, en reconnaissant que ce calcul n'incluait pas tous les frais fixes.

«Mais le site ne suffit pas à financer un titre comme L'Express. Nous sommes revenus sur l'illusion qu'un site adossé à un média pouvait devenir son relais de croissance. Le web et le l'imprimé ont deux économies différentes». Pour L'Express, outre le site, il y a aussi les hors-séries et les salons (avec L'Étudiant). Nous essayons de trouver un équilibre entre toutes ces sources de financement», a-t-il expliqué.

«Le site lemonde.fr génère 18 millions d'euros de chiffre d'affaires, contre 180 millions pour le journal papier: le site ne paie pas le salaire des journalistes papier qui écrivent pour lui», a renchéri l'historien des médias Patrick Eveno.

«Le chiffre d'affaires du groupe L'Express-Roularta était de 709 millions d'euros en 2012, avec 309 millions venant de la publicité dont 25 millions seulement pour la publicité sur le numérique», a-t-il poursuivi. «Et quand La Tribune est passée au numérique, son chiffre d'affaires est tombé à 6 millions d'euros contre 20 millions quand elle était sur papier».

Mediapart, exemple rare de rentabilité

Edwy Plenel, dirigeant de Mediapart, a farouchement condamné la gratuité de l'information, au nom de l'équilibre économique mais aussi de la déontologie.

«La rentabilité des entreprises d'information est la clé, si l'on va de plans sociaux en plans sociaux, l'inventivité professionnelle se délite. J'essaie de prouver que l'info peut être rentable», a-t-il expliqué. C'est le cas pour Mediapart, «qui va approcher 7 millions d'euros de chiffre d'affaires cette année pour un résultat net de près d'un million, avec 81 000 abonnés actifs payants», a-t-il dit.

Faute d'argent, «le risque est que l'on fasse faire aux journalistes autre chose que du journalisme. Libération vend de la nourriture, d'autres des voyages, ou organisent toutes sortes de colloques... La presse s'est aussi tournée vers l'État: nous voulons la fin de ces aides directes, qui démobilisent», a-t-il lancé.

Autre piste, le mécénat. «Nous voulons créer une structure à but non lucratif, un fonds de dotation, ce qui aujourd'hui est réservé au domaine culturel. Ceux qui abonderont auront deux-tiers de réduction d'impôt», a plaidé Edwy Plenel.

«Raser gratis est une illusion», a aussi jugé Michel Danthe, responsable numérique du journal suisse Le Temps. «Quand en 2011 le site du Temps est devenu payant, il a perdu 64% de ses lecteurs, en passant de 135 000 à 87 000. Mais nous sommes à 178 000 aujourd'hui».

Pour les journaux imprimés payants, la solution peut passer par un contenu introuvable ailleurs, comme l'info d'hyperproximité, a plaidé Bruno Hocquart de Turtot, du Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (250 titres). «Ils connaissent une érosion légère des ventes et de la publicité mais ont un lectorat captif, du fait de cet ancrage régional et d'un prix modeste», souligne-t-il.

Les sites payants doivent aussi surmonter des barrières techniques, comme la courte durée des cartes bancaires en France, qui déclenche des incidents pour les paiements récurrents. «Sans cela nous en serions à 110 000 ou 120 000 abonnés», a expliqué M. Plenel.

Et dans des pays où la carte bancaire est inexistante, comme en Côte d'Ivoire, faire payer pour un site est impossible, a souligné  Karim Wally, directeur de la rédaction du quotidien ivoirien Nord-Sud Quotidien.

Un intervenant a enfin demandé à l'assistance: «Qui achète un journal chaque jour»? Aucune main ne s'est levée. «Une fois par semaine»? Cinq mains.