Le prix littéraire français Décembre a échappé hier à l'écrivain québécois Victor-Lévy Beaulieu, qui avait été retenu parmi les trois finalistes pour son roman Bibi.

Le jury du prix, censé attirer les projecteurs sur une oeuvre hors norme, a annoncé lors d'une réception à l'hôtel Lutétia qu'il lui avait préféré Philosophie sentimentale de Frédéric Schiffer. L'auteur récompensé, qui se décrit ironiquement comme «l'essayiste le moins lu de France» sur son blogue, remporte une bourse de 30 000 euros.

La présidente du jury, Laure Adler, a indiqué à La Presse que l'oeuvre du romancier québécois, à défaut de remporter la mise, avait reçu un appui «très soutenu» pendant toute la durée des délibérations.

La journaliste et essayiste a salué «l'inventivité» linguistique de Victor-Lévy Beaulieu. «Quand on le lit, on se sent entraîné dans son fleuve», a-t-elle souligné. L'écrivain Philippe Sollers, aussi membre du jury, a parlé pour sa part d'une oeuvre «effervescente» et «rabelaisienne» qui «fait bouger la langue française de manière remarquable».

«C'est dommage pour le Québec, mais c'est quand même un exploit remarquable de s'être retrouvé là», a commenté de son côté l'écrivain Frédéric Beigbeder, aussi membre du jury.

VLB, joint à son hôtel parisien en après-midi, a déclaré qu'il était fier malgré tout du cheminement de son oeuvre.

«Quand on est finaliste d'un prix comme celui-là et qu'on n'est pas de l'appareil littéraire, c'est un exploit en soi», a-t-il souligné.

L'auteur de 65 ans, venu à Paris en coup de vent spécialement pour la cérémonie de remise du prix, était un peu surpris de ne pas avoir été invité à assister à l'annonce du nom du gagnant.

«Il semble que seul le gagnant doit être présent... Je pensais que j'allais prendre un verre avec les autres finalistes pendant que le jury délibérait et qu'on irait ensuite à la cérémonie, mais on m'a dit d'attendre dans ma chambre d'hôtel et qu'on viendrait m'aviser de la décision (...) Disons que je suis un peu resté sur mon quant-à-moi», a-t-il souligné.

Bibi, qui retrace sur 600 pages l'errance planétaire d'un écrivain sur les traces troubles de son premier amour, avait reçu des échos positifs dans plusieurs médias francophones au cours des derniers mois.

À la suite d'un voyage de presse à Trois-Pistoles, où réside Victor-Lévy Beaulieu, la critique du quotidien suisse Le Temps, Lisbeth Koutchoumoff, l'a décrit comme «un colosse, doux, chez qui des mots de feu et de glaise sortent des doigts, en flot continu».

Même enthousiasme dans le quotidien régional Sud-Ouest qui le voit comme «un curieux croisement vernaculaire de Victor Hugo et Cervantès (...) un Falstaff québécois pour qui la démesure est la norme, un anachorète sociable et exhibitionniste, vivant au milieu de ses chèvres, ânes, chats et chiens la quête du roman total».

Le Figaro littéraire, aussi du voyage au Québec, a déploré que l'oeuvre du «plus grand écrivain québécois vivant» soit «complètement, injustement méconnu de ce côté-ci de l'Atlantique».

Ajoutant au flot des comparaisons, Frédéric Beigbeider a souligné hier à l'issue de la cérémonie de remise du prix Décembre que l'écrivain était «un peu le Céline du Québec».

La comparaison ne déplaît pas au principal intéressé, qui reconnaît au célèbre et sulfureux auteur de Voyage au bout de la nuit le mérite d'avoir «revigoré» un français qui était devenu «très diplomatique».

«Il a brassé ça un peu et ça fait du bien», souligne Victor-Lévy Beaulieu, qui espère contribuer - «modestement», précise-t-il - à ce brassage par ses écrits.

Quoi qu'il advienne, il est réjouissant de voir les critiques français saluer la qualité linguistique du travail d'un écrivain québécois sans qu'il y ait d'élément «péjoratif» en arrière-plan, juge l'auteur.

«Avant, on entendait toujours dire que c'est écrit en patois. Peut-être que les jeunes Québécois qui écriront de manière imaginative auront moins de mal à percer en France à l'avenir», souligne Victor-Lévy Beaulieu, qui reprend dès ce matin l'avion pour le Québec.

«Il y a le Salon du livre de Montréal la semaine prochaine. Et je dois m'occuper de mes animaux», dit-il.