Que se passe-t-il vraiment dans les Territoires occupés par Israël? Le danseur et chorégraphe israélien Arkadi Zaïdes a filmé le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie grâce au soutien de l'organisme de défense des droits de l'homme B'Tselem. Sur scène, il reproduit les gestes de ses compatriotes, militaires et colons juifs pour l'essentiel, que l'on peut voir sur ces images. La Presse lui a parlé.

On parle souvent de l'effet de la culture du conflit israélo-arabe sur la création d'oeuvres palestiniennes. Vous dites qu'elle a aussi un effet sur la création israélienne...

Oui, absolument. Sur certains Israéliens, en tout cas. Honnêtement, il est difficile de faire abstraction de ce que vivent les Palestiniens. Les injustices qu'ils subissent sautent aux yeux. Malheureusement, beaucoup d'Israéliens refusent encore de voir ce qui se passe ou estiment simplement être dans leur droit.

Avez-vous été surpris par les images que vous avez enregistrées en Cisjordanie dans le cadre de ce projet?

Oui, j'ai quand même été surpris. On entend parler du comportement des colons ou de l'armée, mais ce que j'ai vu est très violent. Et puis, c'est répétitif, vous savez. Tous les jours, on le voit: les manifestations, les maisons qui sont brûlées, les arbres coupés... On a des archives de plus de 4500 heures!

Qu'avez-vous fait de ces images? Les avez-vous remises aux autorités israéliennes? Est-ce que ça a changé quelque chose?

C'était l'un de nos objectifs, bien sûr, de fournir ces témoignages à la justice israélienne. Depuis la réalisation de ce projet, la violence a légèrement diminué, tout simplement parce que l'armée et les colons sont maintenant conscients qu'ils pourraient être filmés et que leurs actions pourraient se retourner contre eux. Mais fondamentalement, rien n'a changé.

Votre projet artistique est donc éminemment politique...

Oui, tout ce qui est public est politique. La danse aussi est un acte politique, même si on ne s'en rend pas toujours compte. Lorsque, à chacune des représentations d'Archive, 100 personnes regardent ces images, c'est une prise de position politique très forte que je prends. Je m'adresse à l'intellect des gens, mais aussi à leur coeur.

Qu'est-ce qui vous a motivé à réaliser ce projet, sachant qu'Israël n'a pas l'intention de régler ce conflit?

Je ne sais pas si ce projet peut changer quoi que ce soit. La politique demeure le meilleur moyen de changer vraiment les choses, mais je crois que cet exercice est essentiel. D'ailleurs, les artistes sont devenus les nouvelles cibles des autorités qui veulent limiter la liberté d'expression, justement parce qu'ils peuvent soulever des débats publics.

On a dit que le fait de pouvoir présenter ce spectacle en Israël est la preuve de l'ouverture du gouvernement. De son caractère démocratique. Qu'en pensez-vous?

Je crois que seule une partie de la population israélienne jouit des bénéfices de la démocratie. En Cisjordanie, nos concitoyens arabes n'ont pas les mêmes droits. Il y a une discrimination systématique à leur égard.

Vous avez émigré avec d'autres Juifs d'origine russe au début des années 90. Sachant ce que vous savez aujourd'hui, pourquoi rester en Israël?

Si j'étais à l'extérieur, je ne pourrais pas témoigner de ce qui se passe ici. Mes spectacles de danse sont créés dans cet espace de conflit, et c'est ce qui m'a permis d'avoir une carrière internationale. Je jouis de certains bénéfices, c'est vrai, mais je me sens une responsabilité d'aborder les problèmes que nous vivons collectivement.

Vous recevez des fonds publics pour vos projets artistiques. Comment le gouvernement a-t-il réagi à Archive?

L'État est très hésitant à me soutenir depuis que cette pièce a été présentée. Remarquez, ce sont des gens qui, pour la plupart, n'ont pas vu Archive. Il y a eu des tentatives de me dissuader de poursuivre ce projet. J'ai dû me justifier auprès des autorités. À vrai dire, je ne sais pas ce qui va se passer à l'avenir, mais pour l'instant, j'arrive encore à travailler.

Votre démarche artistique consiste à reproduire les gestes de vos compatriotes israéliens. C'est très provocateur, non?

Oui. Je m'approprie les gestes des membres de ma communauté. C'est ce qui irrite le gouvernement. Mais ça éveille aussi la gauche israélienne et la population en général sur ce qui se passe. C'est vrai qu'il y a un sentiment d'impuissance parce que la situation va de mal en pis. Mais l'espoir est dans l'engagement et dans l'expression de ses croyances. Dans ce sens, il ne faut pas abandonner.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 24 au 26 mai.