Iriez-vous assister à une pièce juché à 25 pieds au-dessus de l'aire de jeu? Ou confiné dans un isoloir en sachant que vous êtes filmé? Oseriez-vous aller voir un spectacle de danse... sans danseur? Trois créateurs d'ici font le pari que, pour créer des oeuvres porteuses, il faut placer l'expérience du spectateur au coeur de la démarche artistique. Les metteurs en scène Martin Genest et Sylvain Bélanger et la chorégraphe Marie Béland s'expliquent.

Il ne faut pas avoir le vertige pour assister à Octobre 70. L'adaptation théâtrale du film de Pierre Falardeau mise en effet sur un dispositif scénique hors du commun: l'aire de jeu sera cernée par trois étages d'échafaudages dans lesquels s'assoieront les spectateurs. Certains d'entre eux seront même installés à 25 pieds au-dessus des planches.

L'idée est intéressante, mais si Martin Genest l'a mise en oeuvre, c'est parce qu'elle lui semble pertinente. «J'essaie de réfléchir à la position dans laquelle je place le spectateur de manière à le mener vers mon questionnement», explique-t-il.

Avec Octobre 70, créé à Québec à l'hiver 2010, il interroge les moyens que nous sommes disposés à prendre pour défendre nos valeurs et nos convictions. Ces felquistes sont allés jusqu'au meurtre. Plutôt que d'en tirer ses propres conclusions, le metteur en scène renvoie la balle dans le camp des spectateurs. Précisément en les plaçant au-dessus des acteurs. «Quand tu regardes l'action qui se produit en dessous de toi, tu te sens automatiquement témoin, juge ou même supérieur», expose Martin Genest.

Déjouer les conventions

Ce n'est pas la seule oeuvre présentée dans le cadre du Festival TransAmériques qui se propose de déjouer les conventions théâtrales et de mettre en scène le rapport entre la proposition artistique et l'assistance. Pour L'enclos de l'éléphant, pièce d'Étienne Lepage qui scrute notre rapport à l'inconnu et à l'étranger, Sylvain Bélanger a choisi de placer les spectateurs autour de l'aire de jeu et de les séparer par des cloisons. La «cabine» de chacun sera toutefois munie d'un écran qui permet de voir un autre membre de l'assistance et d'une caméra qui fait qu'on est observé à son tour.

«Tout ça a pour but de créer un état de fait, une sensation physique, qui met le spectateur un peu dans la même position que le personnage de la pièce qui reçoit un inconnu chez lui», explique le metteur en scène. Sylvain Bélanger estime par ailleurs que ce genre d'expérience accentue une chose essentielle au théâtre: le sentiment de vivre un moment unique.

«Il est dangereux de tenir le théâtre et ses conventions pour acquis, fait-il valoir. On risque de s'endormir si on fait toujours les choses un peu de la même façon.» Passer par le corps du spectateur, par sa position face au spectacle, est une façon de le sortir de ses attentes et de l'interpeller directement. «Je suis convaincu que ça change son écoute et son expérience», dit Sylvain Bélanger. Martin Genest abonde dans son sens: «Ce que je veux, c'est brouiller les codes en partant pour déstabiliser le spectateur et qu'il se sente tout à coup alerte.»

Activer l'imaginaire

Le rapport scène-salle se trouve aussi au coeur de Behind: une danse dont vous êtes le héros, que la chorégraphe Marie Béland a créé en décembre dernier. Elle ne se contente toutefois pas de déjouer les codes, elle les exploite de manière détournée. Rompant radicalement avec le spectacle traditionnel, elle a fait le choix de placer à l'avant-scène des paravents qui ne laissent voir que les pieds et le bas des jambes des danseurs. Chaque spectateur est ainsi forcé d'imaginer la chorégraphie qui se déploie derrière.

«Chacun le fait avec sa connaissance de la danse, avec ses fantasmes ou ses envies de ce qui pourrait être en train de se produire», analyse la chorégraphe, qui joue aussi avec la réflexion d'images dans l'eau. On se rattache à ce qu'on sait, aux codes qu'on connaît et qui nous sont très utiles dans un exercice de cet ordre-là.»

Elle a notamment constaté que les gens se raccrochent au souffle des danseurs, au bruit des pas ou des corps qui s'entrechoquent et que, en accumulant ces indices, l'imagination reconstruit une version de l'oeuvre invisible. Même s'ils ne voient pas les danseurs, les gens se sentent devant un spectacle de danse. «Il suffit de peu de choses pour nous faire voyager», constate-t-elle. Il suffit d'activer l'imagination des spectateurs, en fait.

«On ne vit pas dans une société qui incite à faire confiance à l'imaginaire des gens, constate Sylvain Bélanger. Si les artistes peuvent encourager ou stimuler le développement de l'imaginaire, il faut le faire.»

Photo: Louise Leblanc, FTA

Octobre 70.