Bertrand Belin n'a pas l'imaginaire fabuleux d'un Thomas Fersen, ni la dégaine d'un Benjamin Biolay ou la sensibilité à fleur de peau d'un Dominique A. Il a, par contre, une rare intelligence de l'émotion et du propos, doublée d'un amour pour les musiques de racines nord-américaines. À découvrir d'urgence.

Autrefois accompagnateur de Néry et Bénabar, Belin a discrètement tendu vers la reconnaissance avec son deuxième album, le très bon et sobre La perdue, lancé en 2007. C'était bon à l'époque, les férus de chanson s'en souviennent. Aujourd'hui, sa chanson est simplement sublime.

«Pour les fans de la première heure, j'imagine que Hypernuit n'est pas une surprise, dit le Breton. À chaque album que j'ai sorti, je sens une augmentation de l'affection du public. J'espère que mes meilleures chansons sont encore devant moi... Sur scène, je chante encore mes albums précédents.» C'est ce qu'il fera demain soir sur la scène de l'esplanade de la Place des Arts, puis avant CharlÉlie Couture le lendemain.

Plus que sur La perdue, Hypernuit expire de cordes folk et country, ramenant l'auteur à ses amours américaines ainsi qu'à ses débuts dans le métier, alors qu'il jouait au sein des formations country-zydeco-bluegrass Sons of the Desert et Stompin' Crawfish.

«Comme beaucoup de Français de ma génération, ou ceux de l'après-guerre, j'ai été très influencé par la musique américaine et toute l'iconographie rock et country. Mais après, dans ma carrière solo, j'ai eu envie de prendre une distance face à ça. Reconnaître mes propres racines, dans le but de me forger une identité musicale. Pour cette raison, mes premiers disques étaient sans doute plus éloignés de ces influences, naturelles pour moi, que sont le folk et le country.»

Économie de moyens

L'identité musicale de Belin s'exprime dans une économie de moyens. Un lyrisme fin, des arrangements aérés, faits de cordes de guitares et de violons, d'une batterie clairsemée, de piano opportun. D'une voix féminine qui répond parfois à la sienne, aride, posée, clamée, ajoutant chaleur et sensualité à ses textes troublants. Des chansons qui «sont le fruit de longues séances d'improvisation, des idées que j'enregistrais. Même les textes étaient mémorisés avant d'être écrits».

Ainsi, cette économie de moyens est aussi présente dans le texte. «Il n'y a pas énormément de rebondissements ou d'action dans ces chansons, dit Belin. L'auditeur est placé dans des récits, récits de départs, de vengeances. C'est une narration, et les personnages sont comme des silhouettes, indéfinis.»

Les effets de narration, les jeux de syntaxe, posés sur ces musiques en douceur, provoquent. Parce que les petites scènes qu'il nous chante sont à des lieues de la bête chanson d'amour perdu ou retrouvé.

«Ces scènes sont souvent basées sur des expériences personnelles vécues, c'est essentiel pour donner aux chansons une certaine impulsion. Il y a des gens qui traversent l'existence avec une joie extatique, c'est leur tempérament, ils vont aller jusqu'au trépas avec le même enthousiasme. D'autres ont une nature différente, vont s'enthousiasmer tout autant de vivre, mais l'exprimer d'une autre manière. Je suis de cette deuxième catégorie de gens.»

«Après, enchaîne-t-il, cette violence dans mes textes est probablement le fruit du contexte dans lequel j'ai grandi. Assez violent et alcoolisé, comme on le retrouve dans mon coin, un pays au bord de la mer, rude l'hiver. Un pays humide et venteux et gris, un petit village de pêche où régnait une ambiance d'épouvante, pas forcément dangereuse, mais une atmosphère qui a complètement inondé la culture et la littérature bretonne. Inconsciemment, sans le vouloir, je demeure un enfant de mon pays.»