«Ce qui distingue ma musique ? Je ne me compare à personne, je ne pense pas en ces termes. Je ne me crois pas particulièrement spécial. Je suis en ce bas monde pour faire ce que je fais. Les musiciens de mon groupe diraient sensiblement la même chose.»

À l'évidence, le trompettiste Ambrose Akinmusire choisit l'humilité. Ses succès à la Manhattan School of Music, sa mise sous contrat chez Blue Note et les excellentes critiques dont il fait l'objet depuis les débuts de sa vie publique ne semblent avoir produit aucune enflure dans la caboche.

C'était ainsi lors d'une première interview réalisée il y a deux ans. C'est toujours ainsi avant les trois concerts qu'il donnera à Montréal en trois jours.

Ce retour en force au FIJM, il faut le souligner, suit la sortie (en mars) du très bel album The Imagined Savior is Far Easier to Paint, qui met en relief son quintette, mais aussi la contribution des chanteurs Becca Stevens, Cold Specks et Theo Bleckman, sans compter l'Osso String Quartet, le guitariste Charles Altura, la flûtiste Elena Penderhughes et autres collaborateurs.

«Je voulais explorer de nouvelles configurations, élargir le spectre de mes possibilités», résume le jazzman californien, dont le carnet est rempli de projets - pour cordes, pour formations réduites, etc.

Rappelons également que cette série de trois concerts montréalais est constituée de deux duos avec le guitariste Bill Frisell et le pianiste Tigran Hamasyan, ainsi que d'un autre donné par son excellent quintette - Justin Brown, batterie, Walter Smith, saxophone, Harish Raghavan, contrebasse, et Samuel Harris, piano. C'est dire la reconnaissance précocement acquise auprès des tourneurs et promoteurs du jazz international. Ceux du festival de Montréal, en tout cas, n'ont pas attendu des décennies avant de l'inscrire à la prestigieuse série Invitation.

Ambrose Akinmusire, lui, attribue cette notoriété à la qualité de son groupe.

«Si quelque chose me définit, c'est ma foi en l'idée d'un groupe, concept en voie de disparition dans le jazz. Tel qu'il existe aujourd'hui, mon quintette compte près de cinq années de travail. Fait rare ! Nous avons donné ensemble plus de 500 concerts et nous sommes encore très motivés. Au sein de ce groupe, il y a toujours cette idée de dépassement de soi et d'apport mutuel.»

Le trompettiste estime ne côtoyer que des leaders au sein de cet ensemble.

«Nous étions des garçons lorsque nous nous sommes connus. Nous sommes aujourd'hui des hommes. Des hommes ouverts d'esprit, de surcroît. Nos influences musicales sont innombrables, de King Oliver à Flying Lotus et Thundercat. Nous faisons tous d'autres musiques et, lorsque nous nous retrouvons, nous nous nourrissons les uns des autres. Sans cesse, nous essayons de jouer et de découvrir. Nous pouvons compter sur une centaine de compositions originales, dont la moitié de mon cru. Chaque soir est différent, nous n'avons jamais de programme préétabli. Je ne connais que la première pièce à jouer, et encore. C'est l'instant qui commande. Nos concerts ne sont pas la copie conforme de nos albums.»

Il est aisé de déduire que le succès commercial n'est pas un grand facteur de motivation pour le leader virtuose et ses collègues.

«Nous n'essayons pas de divertir. Si cela se produit, tant mieux, mais ce n'est pas l'objectif. Un objectif d'ailleurs très facile à atteindre lorsqu'on s'y met. Pour nous, il est plutôt question de recherche, d'exploration. Il s'agit de nous mesurer à nous-mêmes. Je ne fais pas de musique pour vendre des centaines de milliers d'albums, pour être super célèbre et faire la une. Je respecte ceux qui chérissent cet objectif, je sais que plusieurs musiciens de ma génération ont un désir de gloire. Cela ne me concerne pas. C'est bien d'être reconnu, mais c'est loin d'être le but de l'affaire.»

Quoique...

«Je vous confierai ne souhaiter devenir une star qu'à une seule condition : que cela me procure les moyens nécessaires à la réalisation d'un maximum de projets avec un maximum d'artistes.»

À cet égard, le musicien de 32 ans est bien parti, quoi qu'il pense du star-system sur la planète jazz.

Dans le cadre de la série Invitation du FIJM, Ambrose Akinmusire se produit ce soir, 18 h, au Gesù, avec le guitariste Bill Frisell. Même heure et même lieu, son quintette sera en vedette lundi, on retrouvera le trompettiste mardi en duo avec le pianiste Tigran Hamasyan.