«La forme est demeurée stable? Oui, c'est vrai... mais avec une évolution quand même. À la fin de sa vie, Django Reinhardt jouait de la guitare électrique. Il avait déjà ce son que plusieurs empruntent encore aujourd'hui. Il jouait avec des batteurs et des pianistes, contrairement à sa période avec le Quintette du Hot Club de France. La révolution de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie était passée par chez lui.»

Un siècle exactement après la naissance du guitariste visionnaire Django Reinhardt, 57 ans après sa mort prématurée, les manifestations se multiplient autour du jazz manouche dont il avait été le pionnier en France avec le violoniste Stéphane Grappelli.

 

Bienvenue aux maîtres

Au cours des derniers mois, Montréal a accueilli les maîtres que sont les guitaristes Stochelo Rosenberg (le meilleur dans le genre?) et Dorado Schmitt, afin de commémorer ce centenaire. Voici maintenant un aréopage manouche que dirige le guitariste Christian Escoudé, lui-même tzigane ayant grandi à Angoulême dans une famille sédentarisée.

De surcroît, Escoudé est connu des Québécois, et pas seulement pour son esprit «manouchéen».

«Depuis les années 80, j'ai joué plusieurs fois au Québec, notamment un duo avec Marcel Azzola, ou avec un ensemble incluant le violoniste Didier Lockwood. Je fais donc du jazz au-delà du jazz manouche. Adolescent, d'ailleurs, je sortais déjà de ce cadre, un style somme toute assez fermé. Mes copains me faisaient alors découvrir des musiciens américains. Ça fait aussi partie de ma culture.»

Il faut rappeler également que Django lui-même n'avait jamais cessé d'être en relation avec la musique américaine. Il faut rester curieux comme Django l'était lui-même. Peu avant sa disparition, il jouait avec les jeunes musiciens de l'époque - Maurice Vander, Martial Solal, etc.»

Mais... permettons-nous d'insister, Christian Escoudé. Après 57 ans, les choses n'ont pas beaucoup changé, non?

«Pour plusieurs musiciens, convient-il, ça peut effectivement tomber dans la caricature. En fait, ça tient à la personnalité de chacun. Moi, par exemple, je suis moins dans la première période de Django que ne le sont plusieurs guitaristes manouches. Biréli Lagrene est aussi sorti régulièrement de cette tradition. Il faut garder l'esprit ouvert, et je m'applique à le garder.

«Je vais dans le mainstream manouche, d'accord, mais en même temps je joue des compositions qui n'y sont pas rattachées. J'écoute de tout et je joue avec de jeunes musiciens comme la batteuse Anne Paceo ou encore d'autres jeunes guitaristes comme Adrien Moignard, Jean-Baptiste Laya ou David Reinhardt, petit-fils de Django et fils de Babik. David ne se limite pas non plus à ce style, bien qu'il en connaisse bien la tradition; il a un trio avec orgue Hammond et batterie. Il n'est certes pas conservateur.»

David Reinhardt sera d'ailleurs de cette Gypsie Planet, aux côtés du guitariste Jean-Baptiste Laya, du violoniste virtuose Florin Niculescu, de l'accordéoniste Marcel Azzola et du contrebassiste Darryl Hall. Une petite idée du programme, Christian Escoudé?

«Nous jouerons dans différentes configurations. Nous ferons des pièces de mon dernier album (Catalogne, étiquette Plus Loin Music), il y aura de jolies valses créées par Marcel Azzola, nous jouerons aussi Oblivion, tango d'Astor Piazzolla. Et bien sûr, quelques morceaux de Django comme Nuages ou Minor Swing. Ce sera mélangé, quoi.»

Dernière tentative avant de remettre ça au 125e anniversaire de naissance de Django Reinhardt: y a-t-il lieu de souhaiter une grande réforme musicale sur la planète manouche? On imagine Christian Escoudé hausser les épaules.

«Je ne sais pas, c'est difficile à dire... Il y a quand même un phénomène de mode actuellement, après je crois que ça va retomber un peu... Mais pas complètement... Les meilleurs survivront à cette vague et feront évoluer cette musique plus discrètement... Alors qu'on parlera peut être un peu moins des musiciens moyens, je suppose... Mais voilà, je ne suis pas devin.»

Gypsie Planet est présenté demain, 21h30, au Théâtre Maisonneuve.