Dans mon ancien quartier, je ne donnais pas de bonbons aux enfants à l’Halloween. Pas que je suis sans-cœur, mais ils étaient plutôt rares à faire la quête de sucreries ces dernières années, peut-être parce que les parents craignaient de tomber sur une piquerie.

Dans notre nouveau coin, des voisins nous ont prévenus que c’était très populaire. Nous avons donc décidé que nous allions distribuer des bonbons cette année, une première. D’habitude, nous passons Halloween évachés sur le divan à regarder nos films d’horreur préférés. De plus, la maison Usher, particulièrement pittoresque, a déjà l’air d’une maison hantée, avec deux gros faux hiboux que je viens d’installer en espérant faire fuir les maudits pigeons de la corniche, mais ça marche pas pantoute. Ils roucoulent auprès des oiseaux en plastique comme s’ils voulaient les draguer. Des touristes américains hilares ont pris ça en photo l’autre jour. It doesn’t work !

J’ai demandé conseil aux parents de mon entourage, qui m’ont dit d’aller acheter des douceurs au Dollarama le jour même, pour profiter des rabais, mais il n’y en avait pas. J’ai plutôt été prise dans une file monstre de retardataires pendant que les employés déballaient les trucs de Noël. Un budget de 100 $ pour les bonbons – j’ai ajouté un faux squelette et un costume pour le chien. L’amoureux s’est occupé de la citrouille avec un sérieux que je ne lui connaissais pas, sculptant des yeux et un sourire maniaque pendant qu’on écoutait la toune Monster Mash.

Il y avait une petite fébrilité dans l’air, nous ne savions pas trop comment faire.

Quand nous étions petits, nous passions l’Halloween, nous ne donnions pas. Des heures à récolter des cochonneries, puis à les trier avec maman pour trouver les lames de rasoir. Ensuite, plus rien, sauf quelques partys arrosés entre adultes. J’ai demandé à mon chum s’il avait déjà fait ça, donner des bonbons.

« Oui, une fois, quand j’avais 13 ans, avec mon ami. Mes parents n’étaient pas là. On s’était amusés à faire des sacs à surprise avec des kleenex chiffonnés et des bonbons déjà mâchés qu’on avait remis dans leur enveloppe.

— C’est ben intelligent, ça. Des vrais génies.

— Mais on trouvait ça tellement drôle ! »

Le pire est que ça le fait rire encore, des décennies plus tard. Sauf que là, c’était du sérieux. J’étais crinquée, avec ma boîte de bonbons, pendant que jouait Thriller. Ça commence à quelle heure ? Dois-je enlever mon masque horrible quand ils ont moins de 6 ans ? Combien on donne de bonbons par enfant ? Ma mère m’a suggéré d’en donner moins aux ados qu’aux enfants.

« Il ne doit pas y avoir beaucoup d’ados qui vont aux portes pour Halloween.

— Tu serais surprise. »

Je l’ai été : les quatre premiers qui ont sonné étaient des ados paresseusement déguisés me dépassant d’une bonne tête. À leur âge, je fumais des joints, et ça donne faim, alors je leur ai donné une grosse poignée, trop excitée par mes premiers quêteurs.

Populaire à l’Halloween cette rue, vous dites ? Un vrai délire. Des contingents de familles. De dinosaures, de pirates, de princesses, d’astronautes, de lapins. J’ai compté une pompière, trois enfants transformés en plantes, un agent de Ghostbusters et quelques tueurs du film Scream. J’étais tellement impressionnée et ravie que je distribuais les bonbons à la pelletée. Un père, craignant manifestement un potentiel rush de sucre de son fils, m’a dit poliment : « C’est un peu trop… »

Résultat : en 45 minutes et avant 18 h, nous n’avions plus rien.

Mon but était d’écouler tout mon stock pour éviter la tentation de manger les restes, et je me suis retrouvée complètement frustrée d’avoir à fermer boutique aussi tôt. Il faudra doubler le budget de bonbons l’an prochain et réduire les portions de moitié pour faire durer le plaisir – soyez indulgents, j’ai encore beaucoup à apprendre.

Pour ne pas décevoir les enfants avec les mains vides, nous avons rentré la citrouille et le squelette, puis éteint les lumières, au moment même où la rue commençait à s’animer. C’était aussi triste que d’avoir à quitter un party qui commence à lever, alors nous sommes allés faire un tour dehors. Il y avait foule, on aurait dit Bourbon Street à La Nouvelle-Orléans pendant Mardi gras, il y avait plus d’adultes que d’enfants déguisés. Des camions de pompiers klaxonnaient et distribuaient du chocolat, des policiers en patrouille souhaitaient « joyeuse Halloween » dans leurs haut-parleurs, des voisins dévoués distribuaient du vin chaud, il y avait de la musique, des lumières, et même des écrans qui diffusaient des images. J’ai demandé à l’amoureux, qui a grandi dans ce quartier, si c’était comme ça quand il était petit. Pas vraiment, lui-même était éberlué. Nous avions l’air de vrais pee-wee avec notre citrouille et notre squelette cheap, même pas déguisés, à court de bonbons avant la tombée de la nuit.

Paraît-il que depuis une dizaine d’années, l’Halloween a pris de l’ampleur dans le coin, et je soupçonne que trois ans de pandémie (en plus d’une tristement célèbre Halloween annulée pour cause de pluie) ont fait grimper les attentes. Et sur nous, la pression. J’ai déjà hâte à l’an prochain pour me reprendre, car j’ai beaucoup d’années à rattraper – et un déguisement à trouver.