Jean-Jacques Goldman est réputé pour être un homme discret. S’il a brillé sous les projecteurs pendant de nombreuses années, il est aussi celui qui a toujours maintenu sa vie personnelle à l’ombre. Malgré une éclipse qui dure depuis 20 ans, la « personnalité préférée des Français » voit donc d’un mauvais œil la parution d’une biographie le concernant.

En août dernier, les Éditions du Seuil ont fait paraître Goldman, un ouvrage qui marque la rentrée littéraire en France. C’est à Ivan Jablonka, professeur d’histoire à la Sorbonne Paris Nord, qu’on a confié la tâche de retracer le parcours de celui qui est à l’origine d’un nombre incalculable de succès comme Je marche seul, Là-bas, La vie par procuration, À nos actes manqués, Sache que je, sans compter ceux qu’il a créés pour d’autres, dont Céline Dion (Pour que tu m’aimes encore, J’irai où tu iras, Les derniers seront les premiers, etc.).

J’ai lu ce livre au cours des derniers jours. Mon constat : le biographe a fait un travail exemplaire. Pas un poil sensationnaliste, l’ouvrage dresse un portrait exhaustif et archifouillé de cet artiste de haut niveau.

L’auteur s’en tient surtout au parcours d’artiste de Goldman. Il entre peu dans sa vie personnelle, sinon pour parler de son demi-frère Pierre, un militant d’extrême gauche accusé du meurtre de deux pharmaciennes (dont il a été innocenté) avant d’être assassiné, en 1979, à l’âge de 35 ans. Ces faits sont archi connus.

Je me suis régalé du début à la fin. Un truc m’a toutefois profondément agacé et c’est cette manière qu’a Jablonka de s’intégrer au récit. Entre deux paragraphes, l’utilisation du « je » nous apparaît incongrue. Après la tendance des documentaires où les protagonistes se mettent en scène, voici celle des biographes qui s’intercalent dans le récit.

Jean-Jacques Goldman a refusé de collaborer avec Jablonka et de lui parler. C’est son droit le plus ultime. Le biographe s’en est donc remis à des tonnes d’entrevues que le chanteur a accordées au cours de sa carrière et qui continuent d’exister grâce aux archives.

Jablonka a fait un véritable travail de moine à cet égard !

Mais voilà, l’homme aux 30 millions de disques vendus ne souhaite pas qu’un auteur s’empare de sa vie et la couche dans un livre sans son consentement. En entrevue avec le Canard enchaîné, Jean-Jacques Goldman a dit : « Je n’ai jamais rencontré cet auteur, mes amis non plus, et je suis triste pour tous les gens qui se font duper en achetant ces livres qui parlent de moi. »

Encore là, c’est son droit de prendre ses distances face à ce livre. Mais le hic, c’est qu’en aucun moment on n’a l’impression que Jablonka a tenté de « duper » les lecteurs en leur faisant croire qu’il a eu la collaboration de Goldman. Il est clair que sa démarche a été menée en solitaire. Toutes les sources consultées et utilisées apparaissent d’ailleurs à la fin du livre.

Nous sommes loin de Laurence Catinot-Crost, auteure de la nouvelle biographie sur Céline Dion intitulée Dis-moi Céline, qui a affirmé aux médias français qu’elle s’était entretenue avec la chanteuse durant plusieurs mois alors que c’était faux.

Tout cela nous amène à la fameuse question : un auteur a-t-il le droit de raconter la vie d’une personnalité sans son accord ? Là-dessus, je réponds oui sans hésiter.

Après, c’est une question de professionnalisme, de rigueur, de talent, d’honnêteté et d’amour. Dans le cas de Jablonka, il ne fait aucun doute qu’il voue une admiration sans bornes à celui qu’il qualifie « d’Arc de Triomphe ».

Si le livre est cousu de faussetés ou qu’il est diffamatoire, c’est une autre affaire. La maison d’édition et l’auteur ont des comptes à rendre.

Après la publication de quatre ouvrages biographiques, je me suis beaucoup questionné sur le rôle et la pertinence de ceux et celles qui se lancent dans un tel exercice. J’en suis arrivé à la conclusion que c’est le niveau de conscience de la responsabilité qui nous incombe qui doit primer. À chaque étape de ce long et périlleux travail, le biographe doit se rappeler ça.

Il a la richesse d’une vie entre ses mains, il doit en prendre soin.

On m’a souvent demandé quelle est la meilleure façon de se rapprocher de la « vérité ». Une autobiographie ? Une biographie avec la collaboration de l’artiste ? Une biographie sans sa collaboration ? Aucune de ces réponses !

Grand amateur du genre, j’ai lu des autobiographies géniales et d’autres qui n’étaient que des façades. J’ai aussi lu des biographies faites sans la personne « biographiée » qui étaient captivantes et d’autres qui bénéficiaient de la collaboration de l’artiste et qui embaumaient la mystification.

Le meilleur exemple de cela est Coco Chanel. Trois ou quatre biographes ont abandonné leur projet après leur rencontre avec la célèbre couturière. Ils se rendaient compte qu’elle leur parlait d’une enfance qu’elle avait totalement inventée.

Je comprends la frustration des personnalités qui voient leur vie filtrée par un tiers qu’elles ne connaissent pas. Elles ont le sentiment que quelque chose leur échappe et que le récit qu’elles lisent n’a rien à voir avec les évènements qu’elles ont vécus. C’est normal, ce regard (même altéré avec le temps) n’appartient qu’à nous.

Mais une biographie est d’abord et avant tout le point de vue de celui qu’il l’écrit. Sinon, remettons-nous-en à ChatGPT.

Un biographe est un enquêteur, un journaliste, un historien et un metteur en scène. Il a beau multiplier les sources et tenter de rendre l’ouvrage le plus « objectif » possible, reste que le portrait qui découle de sa démarche est peint avec son regard.

Écrire une biographie, c’est faire une chasse au trésor. On ne sait pas ce qu’on va découvrir. Ce qui compte au fond, c’est le plaisir que le chercheur va ressentir à exhumer le coffre.

Goldman

Goldman

Seuil

400 pages