L’offre culturelle dans le domaine des arts vivants a été foisonnante cet automne, mais plusieurs diffuseurs ont eu de la difficulté à remplir leurs salles. Les secteurs du théâtre, de la danse, du cirque et même de la chanson, en particulier pour les artistes de la relève, peinent à faire salle comble. Plusieurs salles se sont même trouvées à moitié pleines. Ou à moitié vides…

« C’est quelque chose qu’on s’attendait à observer l’an dernier, au sortir de la crise, nous dit le codirecteur général et directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, Sylvain Bélanger. Mais à l’automne 2022, ça s’est vraiment bien passé. Donc, on s’est demandé : qu’est-ce qui s’est passé entre mai et septembre derniers ? Et là, bien sûr, on ne peut pas ignorer les nouvelles économiques, l’inflation, la difficulté des gens à payer leur hypothèque, les choix auxquels ils doivent faire face. »

Sylvain Bélanger croit que la baisse de fréquentation de son théâtre, dont le taux d’occupation depuis le mois de septembre oscille autour de 50 % certains soirs, est multifactorielle.

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Le codirecteur général et directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, Sylvain Bélanger

« Le comportement des gens a changé, évalue-t-il pour expliquer ce repli. J’ai l’impression que depuis la fin de la pandémie, ils sont plus casaniers. Quand ils achètent des billets, c’est vraiment à la dernière minute. Ce qu’on remarque aussi, c’est que ceux qui aiment beaucoup le théâtre en voient moins. Parce que non seulement il y a une baisse dans nos abonnements, mais on compte aussi moins de spectacles par abonné, ce qui m’indique que soit les gens s’abonnent aussi à d’autres théâtres, soit ils ont choisi de baisser leur budget de sorties au théâtre. »

Son collègue Étienne Langlois, codirecteur général et directeur administratif du Théâtre d’Aujourd’hui, ne veut pas tirer de conclusion hâtive à ce stade-ci de la saison, mais il souligne que « le taux d’occupation global à ce jour est bien en deçà de celui des dernières années ». Quant aux abonnements, il y a un retour encourageant, dit-il, mais le théâtre est toujours environ 15 % en deçà de ses abonnements d’avant la pandémie.

La prévente est plus difficile que jamais et met toute la pression sur la vente de dernière minute, la couverture médiatique et le bouche-à-oreille. La difficulté aujourd’hui est de faire sortir les gens de chez eux. Nous ne sommes pas en compétition avec les autres théâtres, nous sommes en compétition avec Netflix !

Étienne Langlois, codirecteur général et directeur administratif du Théâtre d’Aujourd’hui

La directrice générale du Théâtre Duceppe, Amélie Duceppe, parle elle aussi d’un « recul clair ». « L’an dernier, l’offre était tout aussi imposante, mais on a levé plusieurs supplémentaires. Peut-être qu’il y a plus d’insécurité chez les gens, avance-t-elle. Cette saison, jusqu’à présent, c’est difficile. Même avec une pièce à succès comme Salle de nouvelles, on a eu un taux d’occupation moyen de 65 %. Comme on a moins d’abonnés qu’avant, il faut vendre beaucoup de billets simples pour rentabiliser nos spectacles. »

L’Association professionnelle des diffuseurs de spectacles RIDEAU, qui regroupe 350 salles de spectacle et festivals au Québec, confirme cette tendance.

Sa directrice générale, Julie-Anne Richard, nous dit que seuls les spectacles d’humour – dont les taux d’occupation avoisinent les 80 % –, quelques pièces de théâtre populaires comme Le dîner de cons et les concerts d’artistes établis comme Michel Rivard, Bleu Jeans Bleu ou Daniel Bélanger se tirent bien d’affaire. Les artistes de la relève et la majorité des spectacles de théâtre, de danse ou de cirque, eux, ont des taux de fréquentation beaucoup plus faibles.

Selon les données compilées en septembre dernier par 65 salles pluridisciplinaires du Québec, le taux global d’occupation, toutes disciplines confondues, était de 49 %, nous dit Mme Richard.

Quelques salles s’en sortent mieux

Bien qu’à peu près tous les théâtres sont aux prises avec les mêmes défis, certains s’en sortent mieux. Au Prospero, les codirecteurs généraux Philippe Cyr et Vincent de Repentigny estiment que l’élan de la nouvelle direction, combiné à la mise en place d’une « tarification accessible », a contribué à attirer les spectateurs vers ce théâtre de l’est de la ville.

Les gens paient en effet le tarif qu’ils choisissent, sans qu’on leur pose de questions. Ils ont le choix entre des billets à 25 $, 35 $, 42 $ ou 50 $. « Quelqu’un qui n’a pas les moyens de se payer un billet à 50 $, peu importe son âge ou sa situation, peut s’acheter un billet à 25 $. On veut qu’ils prennent un risque artistique plutôt qu’un risque financier », explique Vincent de Repentigny.

La nouvelle direction du Prospero a aussi fait le pari de reprendre des pièces qui ont eu du succès. On pense notamment à Hidden Paradise, créée par Alix Dufresne et Marc Béland et reprise en septembre. La programmation a donc assurément un effet sur l’achalandage, qui oscille autour de 80 % depuis le début du mois de septembre.

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Philippe Cyr, codirecteur général du Prospero avec Vincent de Repentigny

« En ce moment, on ne peut pas se plaindre, nous dit Philippe Cyr, mais on sait qu’on doit travailler plus fort que l’an dernier. Comme les autres théâtres, on est touchés par l’inflation, la crise des médias, le blocage des nouvelles par Meta, l’achat de billets à la dernière minute, et on n’a pas beaucoup de ressources pour nos communications, notre marketing, pour la médiation culturelle, pour le suivi aussi auprès des groupes scolaires, donc on a besoin de l’aide des organismes subventionnaires. »

Au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), la directrice artistique et générale Lorraine Pintal constate elle aussi que la prévente des billets est lente et difficile.

« Heureusement que la politique de compensation à la billetterie est toujours en vigueur, s’exclame-t-elle. Je pense que l’an dernier, il y a eu une affluence intéressante parce qu’après deux ans de pandémie, c’est comme si les gens redécouvraient le théâtre, mais cette année, il y a un repli. Jusqu’à présent, on a été chanceux parce qu’avec Les 7 branches de la rivière Ōta et Courville, on a un peu créé l’évènement “Robert Lepage”, donc on a rempli notre salle. Mais on verra avec Projet Polytechnique comment les gens vont réagir. »

Ce qui sauve le TNM, c’est son très fort taux d’abonnement. Bien que le théâtre en rénovation n’ait pas encore retrouvé le nombre d’abonnés d’avant la pandémie, il se trouve tout de même sous la barre des 10 000, un exploit en soi.

Mme Pintal croit que dans le contexte actuel, les théâtres doivent être « plus créatifs dans leurs stratégies de communication ».

Il faut créer l’évènement, il faut convaincre [les spectateurs potentiels] que s’ils ne viennent pas, ils vont rater quelque chose. Avec nos infolettres, les réseaux sociaux, etc., on s’autopromeut, on n’a pas le choix, parce que la couverture des médias est moins importante qu’avant.

Lorraine Pintal, directrice générale et artistique du TNM

En musique, rivaliser avec Shania Twain

Du côté des salles de spectacle indépendantes, qui accueillent des concerts de musique, la situation est similaire, même si on ne s’inquiète pas trop pour le moment.

Le nouveau propriétaire du Club Soda et du Ministère, Louis-Armand Bombardier, nous indique que la situation de cette salle de 900 places est stable, avec un taux d’occupation annuel d’environ 60 %.

« Ce qui a changé le plus, c’est vraiment le comportement des spectateurs, qui achètent dans la semaine qui précède le spectacle. Mais notre défi le plus grand, c’est l’offre abondante de spectacles, » indique M. Bombardier.

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Le propriétaire du Club Soda et du Ministère, Louis-Armand Bombardier

Les gens ont de l’argent à dépenser, mais ils doivent faire des choix. Et si Shania Twain débarque au Centre Bell, bien, ils ne viendront pas au Club Soda.

Louis-Armand Bombardier, propriétaire du Club Soda et du Ministère

En voyant des spectateurs prêts à débourser 300 $ ou 500 $ pour des évènements d’envergure, M. Bombardier se demande si les moins grands diffuseurs pourraient augmenter eux aussi le prix de leurs billets.

« Moi, je pense que oui. Nos frais de production, de transport ont augmenté. Nos musiciens, eux, ne sont pas payés plus. Et nous, on vend nos billets le même prix, autour de 45 $. Est-ce que le public québécois est prêt à payer un peu plus cher ? Ça reste à voir. Mais moi, je pense qu’un spectacle, ça vaut au moins 60 $. Donc on réfléchit à ça. »

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  • 49 %
    Taux global d’occupation en septembre dernier de 65 salles, toutes disciplines confondues.
    Sources : RIDEAU