Seulement trois d'entre eux n'habitent plus chez leurs parents. Les sept autres tardent encore à quitter le nid familial, même s'ils gagnent très bien leur vie.

Ils ont pour prénoms Sophie, Juliette, Camille, Marianne, Antoine, Antoine Olivier, Raphaël ou Robert. Ils se sont fait connaître au cinéma dans Monsieur Lazhar, Nouvelle-France, Aurore, 10 , C'est pas moi, je le jure ou Noémie, le secret.

Ils sont tous plus ou moins de la même génération décomplexée, à l'aise sur les plateaux d'ici comme d'ailleurs, très populaires, et n'imaginent aucune limite à ce qu'ils veulent entreprendre.

Ils pourraient être de la même cohorte scolaire, sauf que... les 10 jeunes acteurs que nous avons sélectionnés pour ce reportage n'ont pas fait d'école - d'école de jeu, s'entend. Dans leurs rangs, pas un seul diplômé de l'École nationale de théâtre, du Conservatoire d'art dramatique, de l'École supérieure de théâtre de l'UQAM ou des options théâtre des cégeps.

De Marianne Fortier, qui a immortalisé la petite Aurore à l'écran jusqu'à Sophie Nélisse, l'adorable Alice de Monsieur Lazhar, en passant par Juliette Gosselin, qui, à 12 ans, partageait l'écran avec Gérard Depardieu dans Nouvelle-France, Antoine Olivier Pilon, le Steve explosif de Mommy, ou Raphaël Grenier-Benoît, qui incarne Olivier dans la série Les Parent, tous ont fait leurs classes sur les plateaux avec, comme profs, des réalisateurs, des technos, des maquilleuses et des coiffeurs.

«À 10 ans, quand tu te retrouves sur un plateau, c'est comme si tu y naissais. Tu côtoies des adultes qui te transmettent leur passion», dit Marianne Fortier. Raphaël est bien d'accord: «C'est très grisant d'être sur un plateau. Moi, quand ça fait un mois que je ne tourne pas, j'ai des fourmis dans les jambes.»

Mais le plaisir ressenti sur un plateau n'a rien à voir avec la raison pratico-pratique qui a tenu ces jeunes loin des écoles de jeu. La raison est simple: tous sont d'ex-enfants acteurs qui ont fait leurs premiers pas à un âge pour lequel il n'existe aucune école de jeu et aucun programme d'art dramatique. Ils ont donc appris sur le tas et en sont fiers.

«Moi, j'ai commencé à jouer d'instinct à 12 ans et aujourd'hui, à 23 ans, j'aurais peur qu'une école m'enlève cet instinct ou, du moins, le déforme. C'est pour ça que je préfère étudier en cinéma et en réalisation plutôt qu'en jeu», explique Juliette Gosselin.

Antoine Olivier Pilon, 17 ans, abonde. «J'ai commencé à jouer sans suivre de cours. Je l'ai fait naturellement, et tout le monde semble satisfait de mon travail. Pourquoi j'irais désapprendre ce que j'ai appris? Pourquoi un prof serait mieux placé pour me dire ce que je fais d'instinct sur un plateau en écoutant le réalisateur?», demande avec une belle insolence le Steve de Mommy.

Son camarade Antoine Pilon, 21 ans, est plus pragmatique. «Les écoles, c'est quatre années dans le noir. Quatre années où tu ne peux pas travailler. Pour des jeunes qui ne sont pas encore dans le métier, ça va, mais nous, on est dans le métier depuis l'enfance et on aime ça, travailler», lance celui qu'on a découvert dans 30 vies et vu dans Nouvelle Adresse, Mémoires vives et, pendant un temps, dans Unité 9, avant que sa surexposition lui fasse perdre le rôle.

Antoine L'Écuyer, 18 ans, le petit-fils du grand Guy L'Écuyer, n'a pas voulu s'inscrire dans une école pour les mêmes raisons.

Quant à Raphaël Grenier-Benoît, le philosophe de la bande, qui va bientôt entreprendre un baccalauréat en droit, il est le seul à se porter à la défense des écoles d'art dramatique, avant toutefois de conclure: «Mais il y a aussi plein d'acteurs formidables, comme Marc Labrèche, qui n'ont pas fait d'école.»

Acteurs à tout prix

Divisés en deux groupes de cinq jeunes et réunis à un jour d'intervalle autour de la même table, dans une salle de conférence de La Presse, les jeunes s'écoutaient les uns les autres et, forcément, s'influençaient mutuellement.

Lorsque je leur ai demandé qui voulait faire ce métier à tout prix, tous ont levé spontanément la main. Mais le plus convaincu était, à coup sûr, Antoine Pilon: «Je vais mourir de ne pouvoir jouer», a-t-il lancé.

Son jusqu'au-boutisme a fait vibrer une corde sensible chez la cadette, Alice Morel-Michaud, 16 ans, révélée dans le film Les Pee-Wee 3D. «Je ne me vois rien faire d'autre que de jouer», a ajouté ce petit bout de femme avec aplomb.

Les deux doyennes, Marianne Fortier, 21 ans, et Juliette Gosselin, 23 ans, se sont posé beaucoup de questions et ont même agonisé sur le sujet. Les deux ont un parcours similaire. Enfants, elles sont toutes deux rentrées par la grande porte avec, dès la première audition, un premier rôle au cinéma: Marianne dans Aurore et Juliette dans Nouvelle-France, respectivement.

La suite a été plus difficile. Les deux ont vécu une sorte de creux. Juliette a tout abandonné pour aller faire de la compétition équestre aux États-Unis. Puis, à un moment, il lui a fallu faire un choix déchirant entre le cinéma et l'équitation. Elle a choisi le cinéma.

Idem pour Sophie Nélisse qui, parallèlement à ses débuts au cinéma, s'entraînait avec l'équipe canadienne de gymnastique. Lorsque des producteurs étrangers lui ont proposé un premier rôle dans La voleuse de livres, aux côtés de Geoffrey Rush et d'Emily Watson, son horaire trop chargé l'a obligée à faire un choix et à renoncer à son rêve d'aller aux Jeux olympiques.

Inquiets pour l'avenir?

J'ai voulu aborder avec eux la question de l'insécurité financière et professionnelle, inhérente au métier d'acteur. Mais je me suis vite rendu compte que cette inquiétude, typique du monde adulte, avait peu d'échos chez ces jeunes.

Robert Naylor, 19 ans, qui incarnait avec beaucoup d'intensité un enfant mal aimé dans 10, a haussé les épaules: «C'est pas l'insécurité, le problème. Moi, je ne vais plus à l'école et je n'habite plus chez mes parents. Ce que je trouve difficile, c'est le décalage entre le travail, les longues heures sur les plateaux, où t'es entouré de monde, où il y a beaucoup d'action, et quand tout est fini et que tu te retrouves tout seul chez toi. Le vrai défi, c'est d'arriver à structurer une vie sans structures.»

Antoine Olivier Pilon, lui, vit au jour le jour, comme Steve dans Mommy. «Même quand tu rates une audition, ça t'apprend de quoi et ça sert à quelque chose», dit celui qui estime qu'il ne sera pas acteur toute sa vie.

Antoine Pilon est plus catégorique: «Ce métier-là est fait de 75% de refus. Il faut s'y habituer. Moi, j'ai été chanceux jusqu'à maintenant, mais je suis conscient que ce métier est fait d'impondérables. Tu peux te péter la face et te défigurer, tu peux n'être que la saveur du mois. Mais si on commence à s'en faire avec ça, on ne fera plus rien.»

Les filles sont moins crâneuses. Camille Felton avoue que c'est dur de se voir refuser un rôle: «Ça m'affecte, que je le veuille ou non.» Quant à Juliette, elle confesse que plus ça va, pire c'est: «Quand je n'obtiens pas un rôle, ça me fait mal et quand je l'obtiens, j'ai peur qu'il n'y ait rien après.»

Faire carrière à l'étranger

Dernière question et non la moindre: la carrière internationale. Il y a 20 ans, un jeune acteur québécois pouvait rêver en couleur, mais les chances qu'il ait une carrière internationale étaient minces.

Aujourd'hui, même plus besoin de rêver, comme en témoigne l'extraordinaire parcours de Sophie Nélisse, recrutée par la prestigieuse agence CAA, qui gère la carrière des vedettes de catégorie A comme George Clooney, Nicole Kidman et Brad Pitt.

À 15 ans, Sophie a déjà à son actif plusieurs films américains où elle tient un premier rôle. Autant dire que sa carrière internationale lui est tombée dessus sans même qu'elle l'appelle. D'où sa belle nonchalance.

Robert Naylor, lui, est moins nonchalant et plus déterminé. Il a le même agent à Los Angeles que Marc-André Grondin et Jay Baruchel. Il attend en coulisses son grand moment.

Pour Camille Felton, la carrière internationale, c'est un rêve qu'elle compte bien réaliser.

Le père de Juliette aimerait qu'elle déménage à Los Angeles et qu'elle profite de la sortie prochaine de deux films en anglais qu'elle a tournés pour se faire connaître. «Mais ça m'essouffle juste d'y penser», dit Juliette, sans toutefois fermer la porte complètement à un déménagement.

Quant à Marianne, elle s'est dit que plus rien ne peut l'arrêter depuis qu'elle a auditionné pour The Walk et qu'elle a fait partie des cinq derniers choix.

Le dernier mot va à Raphaël Grenier-Benoît, qui entamera l'été prochain la dernière saison des Parent avec un pincement au coeur, mais aussi beaucoup d'optimisme. «Le Québec, en ce moment, c'est un peu la terre promise. Il y a plein de jeunes cinéastes qui osent des choses. Notre génération est chanceuse. C'est un bon moment pour être un acteur au Québec.»

Si Raphaël ne l'avait pas dit, on l'aurait fait à sa place. Cette nouvelle génération d'acteurs est effectivement bénie des dieux. Ce sera fascinant de la regarder aller et de voir jusqu'où l'absence de complexes saura la mener.